«Il a enseigné au peuple avec un manque total de préjugés, la confiance en sa force et a trouvé le langage adéquat pour le détourner des objectifs d'ordre privé dans lequel s'efforçaient de le cantonner les Oulémas.» Mohammed HARBI L'arrivée à Paris de la délégation du Congrès musulman algérien, avec à sa tête le Dr Bendjelloul, le 18 juillet 1936, va accentuer les divergences entre les militants nationalistes. Composée des cheikhs Abdelhamid Ben Badis, al-Okbi, al-Ibrahimi, de Lamine Lamoudi, Amara, Ferhat Abbas, Saâdane, Lakhdari et Tahrat, cette délégation présentera, peu après et malgré les supplications des représentants de l'Etoile Nord-Africaine, des revendications qui comprenaient, notamment, le rattachement de l'Algérie à la France, assorti d'une représentation au sein du Parlement. La délégation fut reçue le 23 juillet par Léon Blum qui fera part de sa joie de voir des «Français recevoir des Français, des démocrates d'autres démocrates et leur promit de s'occuper personnellement des revendications «indigènes». En termes décodés, écrit Youssef Girard, le président français signifiait toute l'ambiguïté de la politique de la gauche française vis-à-vis des Algériens. En les qualifiant de «Français» il leur niait leur identité spécifique et les empêchait de poser la question algérienne en termes de Libération nationale; et en parlant des revendications «indigènes», il refusait aux Algériens - même à ceux qui se réclamaient de la France - l'égalité des droits que certains revendiquaient, nous apprend la même source. Sensible aux dangers et risques incalculables que comportaient pour l'Algérie les revendications du Congrès musulman, souligne Mohammed Guenanèche, le président de l'Association des Ouléma fera preuve, tout d'abord, de beaucoup de compréhension, - tant l'argumentaire de l'ENA força son approbation - en tenant à préciser qu'il n'était venu à Paris qu'au sujet seulement des revendications religieuses et d'ordre linguistique. Mais c'était compter sans l'hégémonie du courant majoritaire... et du revirement du porte-parole du Congrès musulman, à la fois mal à l'aise et très gêné, qui objecta que les propos de Messali Hadj étaient tenus en France, terre de liberté, et qu'il voyait mal qu'ils puissent l'être en Algérie...La réponse du père du nationalisme révolutionnaire algérien ne se fit pas attendre. Il répondit à cheikh Abdelhamid Ben Badis qu'il serait à ses côtés, à Alger, pour y tenir les mêmes propos liés à la revendication de l'Indépendance nationale et à l'abolition de l'indigénat. Et il le sera le 2 août 1936, plus précisément au stade municipal d'Alger où il jettera à la face des assimilationnistes «la terre algérienne n'est pas à vendre». Le discours qu'il y prononça, contre vents et marées, est assez révélateur de l'option prise par les nationalistes révolutionnaires pour l'indépendance nationale et de la frilosité de la classe politique tant réformiste que religieuse de l'époque. Au réquisitoire prononcé contre l'ENA, juste après ce discours, par cheikh Taïeb al-Okbi qui poussa l'outrecuidance jusqu'à dire, avec colère, «un pigeon sans ailes pourrait-il voler vers les cieux?», la foule s'empara de Messali Hadj et lui fit faire plusieurs tours du stade, en criant et en chantant: «Vive l'Algérie, Vive Messali! Vive l'indépendance! Vive l'Islam! Vive Allah». Messali Hadj en gardera un souvenir impérissable. Il en parle dans ses mémoires avec beaucoup d'émotion et de détermination: «A la sortie du stade, des compatriotes m'accompagnèrent par centaines. Ils ne voulaient pas me laisser partir seul. Tout le long du trajet entre le stade municipal et l'hôtel, nous avons donc été suivis surtout par des jeunes à pied, à bicyclette et en voiture, lançant des mots d'ordre favorables à l'Indépendance nationale et à ma personne. Ce fut une des journées les plus belles de ma vie. Mais aussi des plus marquantes politiquement parlant. Ce meeting du 2 août 1936, qui devait sanctifier la politique de francisation et le rattachement de l'Algérie à la France, avait été détourné. Le Mouvement national algérien avait annoncé par la bouche de son président la volonté de l'Algérie d'être un Etat indépendant.» Son prestige irréfragable s'est affirmé dans la bataille contre l'élitisme, et pour l'incorporation des masses dans le jeu politique, affirme Mohammed Harbi: «En tant qu'homme du peuple, il a été le point de rencontre de multiples émotions, d'angoisses et d'intérêts qui le poussaient en avant. Il a enseigné au peuple avec un manque total de préjugés, la confiance en sa force et a trouvé le langage adéquat pour le détourner des objectifs d'ordre privé dans lequel s'efforçaient de le cantonner les Ouléma.» C'est à juste titre que le président Abdelaziz Bouteflika le ravira à l'amnésie ambiante pour le rappeler aux bons souvenirs des militants de la cause nationale. Réhabilité, pour les uns ou restauré dans ses droits historiques, pour les autres, le vieux lutteur a pris donc, à titre posthume, une des plus éclatantes revanches sur ceux-là mêmes qui ramaient pour le rattachement de notre pays à la France. [email protected]