Loin de l'unité nationale qui avait prévalu après les attentats du 11 septembre 2001, l'Amérique est divisée, pas seulement sur la façon de vaincre le groupe Etat islamique, mais aussi sur la nature de la menace qu'il représente. Quelques minutes à peine après l'appel à l'unité lancé par le président Barack Obama dans le Bureau ovale dimanche, les Républicains indiquaient clairement qu'ils n'avaient pas l'intention de le suivre. A l'appel à «se rassembler - en tant que nation, en tant que peuple - autour de nos idéaux communs», Donald Trump, qui fait la course en tête dans le camp républicain, a rétorqué: «C'est tout? Il nous faut un nouveau président, et vite!». A moins d'un an de l'élection présidentielle de novembre 2016, la tonalité ne surprend pas complètement. Mais les clivages témoignent aussi d'une évolution plus profonde. «Pendant des décennies, la sécurité nationale a été le sujet sur lequel - au moins temporairement - les gens pouvaient se rassembler», explique Patrick Skinner, ancien responsable de la CIA qui travaille aujourd'hui au sein de la société d'analyse des risques Soufan Group. «Aujourd'hui, les catastrophes naturelles n'arrivent pas à rassembler, et même les attentats sont immédiatement politisés», déplore-t-il. L'émergence d'une nouvelle forme de menace islamiste n'a fait qu'accroître les divisions. Après le 11-Septembre, George W.Bush avait rallié les élus des deux camps en appelant à traquer «les terroristes qui ont commis ces actes et ceux qui les ont protégés». L'invasion de l'Afghanistan fut rapidement décidée - avec l'appui des démocrates comme des républicains - pour priver Oussama ben Laden de sa base arrière. Aujourd'hui, l'équation est infiniment plus compliquée. Les auteurs du massacre de San Bernardino (Californie), qui a fait 14 morts mercredi, vivaient en Amérique - l'un d'eux y a grandi - et ils n'avaient semble-t-il que des liens idéologiques avec l'EI. «Aucune frappe aérienne ne va aider face à des cas comme San Bernardino», souligne Patrick Skinner. Dans sa réponse face à cette menace, Barack Obama a toujours gardé en tête les expériences douloureuses - et coûteuses - des interventions américaines en Afghanistan et en Irak. Et affiche sa farouche opposition à tout nouvel envoi de troupes au sol qui ferait, déclare-t-il, le jeu des jihadistes. Les républicains l'accusent en retour de sous-estimer la puissance de ce groupe qui a proclamé un «califat» à cheval sur de vastes parties de l'Irak et de la Syrie. «L'EI est devenu ces dernières années, et sous la présidence Obama, le réseau terroriste le plus riche et le plus puissant de l'histoire», souligne Marc Thiessen, ancien rédacteur de discours de George W.Bush. «Ils ont les moyens de provoquer des dégâts colossaux s'ils ne sont pas stoppés rapidement». «Ne vous y trompez pas», a de son côté averti Michael McCaul, président de la commission de la Sécurité intérieure à la Chambre des représentants, «nous sommes un pays en guerre». «Je pense que 2015 marquera un tournant dans cette longue guerre et restera comme l'année où nos ennemis ont pris le dessus», a-t-il ajouté. La Maison Blanche a minimisé ces critiques, les mettant sur le compte d'une campagne pour l'élection présidentielle «extrêmement disputée». «Si nous passions du temps à nous préoccuper de ce genre de réactions, nous perdrions notre temps», a estimé Josh Earnest, porte-parole de l'exécutif américain. Mais les failles politiques sont réelles et de plus en plus difficiles à écarter d'un revers de manche. La proposition de Donald Trump d'interdire aux musulmans d'entrer aux Etats-Unis devrait laisser des traces au-delà de 2016. Si tous les républicains - loin s'en faut - ne partagent pas sa vision du monde, nombre d'entre eux sont convaincus que Barack Obama a baissé la garde face à l'EI.