L'UE et les USA ont fait part hier de leur profonde inquiétude pour la liberté de la presse en Turquie, après la prise de contrôle par les autorités du quotidien d'opposition Zaman, dernier exemple d'une répression accrue envers les médias. Cette affaire survient à deux jours d'un sommet demain entre l'UE et la Turquie sur la crise des migrants, au cours duquel Ankara espère une accélération de sa procédure d'adhésion à l'Europe en échange d'efforts pour enrayer le flot des candidats à l'exil qui quittent clandestinement ses côtes. Peu avant minuit, la police a utilisé gaz lacrymogènes et canons à eau pour disperser des centaines de personnes qui s'étaient rassemblées devant le siège du journal à Istanbul et pénétré dans le bâtiment. Hier matin, les accès au journal étaient bloqués par des barrières de sécurité. Les forces de l'ordre ont investi le bâtiment après une décision judiciaire de placement sous tutelle du journal, hostile au président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan. Le commissaire européen à l'élargissement, Johannes Hahn, s'est déclaré «extrêmement préoccupé par les derniers développements autour du journal Zaman, qui mettent en danger les progrès de la Turquie dans d'autres domaines». «Nous allons suivre de près ce qui va se passer. La Turquie, candidat à l'adhésion, doit respecter la liberté de la presse. Les droits fondamentaux ne sont pas négociables», a-t-il souligné. Washington, par la voix du porte-parole du département d'Etat John Kirby, a dit regretter «la dernière d'une série d'inquiétantes actions judiciaires et policières prises par le gouvernement turc pour cibler des médias et ceux qui le critiquent». Le groupe Zaman, qui outre le quotidien Zaman possède le journal de langue anglaise Today's Zaman et l'agence de presse Cihan, est considéré comme étant proche de l'imam Fethullah Gülen, un ancien allié devenu l'ennemi numéro un de M.Erdogan depuis un retentissant scandale de corruption qui a éclaboussé le plus haut sommet de l'Etat fin 2013. Le président accuse M. Gülen, 74 ans, d'être à l'origine des accusations de corruption qui l'ont visé, il y a deux ans et d'avoir mis en place un «Etat parallèle» destiné à le renverser, ce que les «gülenistes» nient farouchement. Depuis ce scandale, les autorités turques ont multiplié les purges, notamment dans la police et le monde judiciaire, et les poursuites judiciaires pour «terrorisme» contre les proches de la nébuleuse Gülen et ses intérêts financiers. Dès l'annonce de la décision judiciaire, des dizaines de journalistes et d'autres salariés de Zaman s'étaient rassemblés devant leur quartier général stambouliote. «La presse libre ne se laissera pas réduire au silence, elle subsistera même s'il nous faut écrire sur les murs. On ne peut pas faire taire les médias à l'ère du numérique», a lancé le rédacteur en chef de Zaman, Abdulhamit Bilici, cité par l'agence de presse Cihan, quelques minutes avant l'assaut de la police. Depuis plusieurs mois, l'opposition turque, les ONG de défense des médias et de nombreux pays s'inquiètent des pressions croissantes exercées par M.Erdogan et son gouvernement sur la presse et dénoncent sa dérive autoritaire. Deux journalistes du quotidien d'opposition Cumhuriyet, Can Dündar et Erdem Gül, doivent ainsi être jugés à la fin du mois pour avoir fait état de livraisons d'armes d'Ankara à des rebelles islamistes en Syrie. Incarcérés pendant trois mois, ils ont été libérés il y a une semaine mais risquent la prison à vie. Can Dündar a critiqué mercredi les «sales petites combines» de l'UE, accusée de sacrifier la défense des libertés en Turquie en échange d'un accord sur les migrants. La Turquie pointe à la 149e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).