La tension n'a pas diminué depuis trois jours Lasse de vivre dans la misère et la précarité, la population gabonaise a vu dans cette élection présidentielle l'opportunité d'un changement salvateur. Les troubles post-électoraux au Gabon ont fait au moins deux nouveaux morts, un policier et un civil, tandis qu'aucune solution ne se dessinait pour sortir du bras de fer entre Ali Bongo, proclamé vainqueur de la présidentielle, et Jean Ping, qui affirme avoir gagné. Dans la nuit de vendredi à samedi, un jeune homme a été tué par les forces de sécurité effectuant des patrouilles nocturnes en plein climat de violences post-électorales, à Port-Gentil, la capitale économique du Gabon. On compte ainsi sept morts dans un pays où l'ambiance insurrectionnelle est encore vive et les scènes de pillage se poursuivent. Le bras de fer entre le président sortant, Ali Ondimba Bongo, et son rival, Jean Ping, est loin d'être achevé, chacun campant sur ses positions et sa certitude d'avoir été élu au terme du scrutin présidentiel. Car aux exigences de Jean Ping qui réclame le comptage des voix, bureau par bureau, répond le refus intransigeant de l'héritier d'Omar Bongo qui brandit les dispositions de «la loi gabonaise». Les deux rivaux ont transcendé l'étape des invectives pour aborder celle des affrontements par populations interposées, au risque de condamner le Gabon à une situation chaotique. A une opposition qu'il juge «destructrice et antidémocratique», Ali Bongo oppose des forces de sécurité garantes de la légalité. Et lui comme son adversaire parlent en même temps de la nécessité de «retrouver le chemin de l'apaisement», un effort qu'il appartient à l'autre camp d'entreprendre, dés lors que chaque partie impute à l'autre les causes de la violence. Jean Ping s'est découvert conforté par la demande du comptage des voix, «bureau de vote par bureau de vote», que le Conseil de sécurité de l'ONU, l'Union européenne, l'Union africaine, la France et les Etats-Unis ont présentée. Les tensions ont pourtant baissé avec le retour dans le quartier général de Jean Ping des leaders de l'opposition retenus par les forces de l'ordre durant 48 heures, après l'assaut contre le bâtiment où il y a eu un mort et un certain nombre de blessés. Les 27 leaders de l'opposition, regroupés autour de Jean Ping, avaient alors lancé un appel à la communauté internationale pour protester contre le raid et dénoncer un «hold-up électoral». Mais il reste près d'un millier de personnes, également arrêtées sous différents prétextes, et dont le sort inquiète. «Le monde entier connaît qui est le président de la République: c'est moi, Jean Ping», a lancé l'opposant, bravant implicitement le président sortant qui avait revendiqué jeudi sa «légitimité». «En tant que président élu, je suis naturellement très préoccupé par la situation de notre pays qui évolue vers un chaos généralisé. Aussi j'en appelle à la responsabilité des uns et des autres, afin que le pays retrouve le chemin de l'apaisement», a dit M. Ping lors d'une conférence de presse, mais la condition de cet apaisement reste la même, à savoir un «rétablissement de la vérité des urnes (...) sur la base du comptage des voix, bureau de vote par bureau de vote». Longtemps symbole de la pérennité du colonialisme français en Afrique subsaharienne, au même titre que la Côte d'Ivoire et quelques autres pays de la région, le Gabon n'a connu, depuis l'indépendance en 1960, que trois présidents, Léon M'Ba pour un bref passage, puis (Albert) Omar Bongo qui régna sans partage sur le pays pendant 44 ans! A la mort de celui-ci, c'est son fils Ali Bongo qui prit «naturellement» la succession pour un septennat au cours duquel les richesses de ce pays pétrolier, aux deux millions d'habitants à peine, ont continué à être pillées par le clan et les multinationales présentes. Lasse de vivre dans la misère et la précarité, la population gabonaise a vu dans cette élection présidentielle l'opportunité d'un changement salvateur, mais entre mirage et réalité, le combat entre les deux clans relève plus de la querelle familiale autour d'un héritage légué par un patriarche imprévoyant que par l'opposition entre deux idéologies antagonistes. Jouant sur les clivages tribaux et sur l'interventionnisme de l'ex- puissance coloniale, les deux prétendants en appellent au soutien des foules en colère, risquant de provoquer des affrontements sanglants entre les groupes ethniques et de semer ainsi le germe de la discorde. Sauf que le doute est désormais conforté, depuis que le clan d'Ali Bongo s'est enfermé névrotiquement dans son refus du «comptage des bulletins bureau de vote par bureau de vote», comme le réclame la communauté internationale. Sinon, pour quel motif cette fuite en avant? Hier, l'archevêque de Libreville, Mgr Basile Mvé Engone, a appelé «toutes les forces vives de la nation à se ressaisir pour une sortie imminente de crise» et les organisations et institutions internationales «à jouer pleinement leur rôle» pour préserver la paix, non sans remercier l'Union européenne et l'Union africaine pour leur «forte implication» dans le processus électoral. Une situation d'ensemble dont on voit bien qu'elle constitue un nouveau coup dur pour le continent africain et pour la démarche du Nepad qui oeuvre à asseoir partout la «bonne gouvernance». Apparemment, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour donner un quelconque crédit à une telle ambition...