C'est cette fracture entre des médias qui ne touchent plus qu'une infime partie de la population, et celle-ci davantage branchée sur les pages partisanes des réseaux sociaux, qui explique l'effet boomerang de cette campagne. Le mea culpa des médias américains a été exprimé à minuit, heure américaine, sur le plateau de CNN où les résultats ont eu l'effet d'une douche froide. Le désarroi des instituts de sondage le disputait aux mines sombres des commentateurs, un contraste frappant avec les visages réjouis et l'ambiance bon enfant qui régnait en début de soirée. D'un coup, lorsque l'avance de la candidate démocrate fut éteinte, l'Amérique a plongé, au fur et à mesure que ses Etats se drapaient de rouge, dans une ambiance Halloween. C'est cette même atmosphère qui a caractérisé les rédactions dans le monde, clouées par la victoire sans appel de Donald Trump. Les sondages successifs avaient fait entrevoir une dynamique lente, mais inexorable du candidat républicain, mais nul n'en a voulu tenir compte, exception faite du seul sondage ABC-Washington Post qui avait prédit le choc. Intéressant à plus d'un titre, le commentaire du prix Nobel d'économie en 2008 et éditorialiste au New York Times, Paul Krugman, voit dans cette erreur le signe d'un pays divisé où les médias campent d'un seul côté de la ligne de fracture. «Les gens comme moi, et sans doute la plupart des lecteurs du New York Times, n'ont vraiment pas compris le pays dans lequel nous vivons, a-t-il écrit, dans un billet intitulé 'Notre pays inconnu''. Nous pensions qu'une large majorité d'Américains restait attachée aux normes démocratiques. Mais il apparaît qu'un grand nombre de gens - des Blancs, vivant principalement dans les zones rurales - ne partagent pas du tout notre vision de l'Amérique.» Or, c'est cette fracture entre des médias qui ne touchent plus qu'une infime partie de la population, laquelle est davantage branchée sur les pages partisanes des réseaux sociaux, qui explique l'effet boomerang de cette campagne. Plus les médias se sont évertués à diaboliser le candidat Trump, plus sa cote de popularité, invisible à leurs yeux mais au final bien réelle, a monté. Il faut savoir que ce sont pas moins de 200 titres américains qui ont bataillé en faveur de Hillary Clinton contre six uniquement pour son rival. A l'aube d'une nuit éprouvante, le Huffington Post a sobrement constaté «cauchemar: Trump président!» alors que le Times paraissait encore groggy avec «Donald Trump est élu président dans une répudiation étourdissante de l'establishment». Quant au Washington Post, il constate la mort dans l'âme «Le triomphe de Trump: le businessman gagne la présidence dans une déception étourdissante envers Clinton». C'est aussi l'avis du Los Angeles Times qui voit «Trump à la Maison-Blanche gifle l'establishment». Au Daily Mail, en Grande-Bretagne, on constate une Amérique «Trumpland» quand The Wall Street Journal estime que la victoire du candidat républicain résulte d'une «vague populiste». A Bruxelles, Le Soir a vu «le choc Trump» et en Allemagne, le Markische Allemeïne a coupé la poire en deux dans sa Une consacrée aux deux possibles présidents! Enfin, Le Monde se demande «comment la victoire de Trump a-t-elle pu échapper aux sondages et aux médias». Une question qui, au lendemain du scrutin, paraît quelque peu naïve.