Au mois d'avril 1949, éclatait, au sein de la Fédération de France du MTLD, une crise opposant les participants de «l'Algérie arabe» à ceux de «l'Algérie algérienne» Le «Complot berbériste» n'est, loin s'en faut, ni un songe ni une figure de rhétorique capricieusement mise en relief pour combler des lacunes historiques. Des militants du PPA-MTLD, originaires de Kabylie qui, en 1948, avaient voulu remettre les pendules à l'heure à propos de cette histoire, n'ont pas été entendus par les tenants du pouvoir de cette formation. Le débat manqué à cette occasion aurait pu éviter nombre d'avanies à notre pays à cause de la bêtise humaine et éviter entres autres, l'actuelle crise en Kabylie. Puisque le «Complot berbériste» a vraiment existé. Quelles en sont les origines? Il est parfois des problèmes de souveraineté comme des infections qu'on n'a pas pu ou voulu soigner à temps. Le «complot berbériste» en est un. Tapi dans l'ombre des mémoires, de temps en temps il apparaît au grand jour et rappelle qu'il s'était posé à une époque où il était encore temps d'éviter à l'Algérie de nombreux écueils dont celui majeur du complot intégriste actuel et de la crise de Kabylie. Cela pour dire que dans le monde bigarré des indécisions fondamentales qui sont restées en suspens, l'Algérie ne fait pas exception. Entrons maintenant dans le vif du sujet et posons la première question. Qu'en est-il au juste de ce problème qu'au moins 80% de la population ignorent tout en continuant à en vivre les effets dévastateurs sans en connaître la source? Au départ, pour certains, il s'agissait ni plus ni moins que d'un début de remise en cause du fonctionnement interne du PPA-MTLD qui, comme chacun le savait à l'époque, n'offrait aucune alternative aux initiatives innovantes comme la démocratie. Monolithique, le MTLD formait un bloc homogène de militants dont la principale préoccupation consistait à traquer toute idée non conforme aux critères d'appréciation en vigueur au sein de leur formation. Des tentatives susceptibles de transformer l'autoritarisme de Messali Hadj en principes moins rigides, voire plus à même d'accueillir de nouvelles idées et d'en critiquer d'autres, n'ont jamais abouti. Les bouleversements introduits par la Seconde Guerre européenne dans la politique mondiale allaient-ils métamorphoser la situation? Eh bien non! Malgré ses années de bagne et d'assignation à résidence répétées Messali Hadj ne voulait rien entendre. Il fallait, pour faire bouger les choses, que le problème posé fût d'une taille si imposante qu'il ferait craquer tous les conformismes et faire s'envoler toutes les mystifications dont l'accumulation avait permis à Messali Hadj d'en être resté le seul maître à bord jusqu'à la scission du MTLD au mois de mars 1954. Pour autant le problème posé n'avait jamais fait la priorité dans l'élaboration des ordres du jour des sessions ou dans les préoccupations, ni du PPA avant son interdiction en 1937, ni du MTLD jusqu'à la scission. La scission voilà un événement dont un grand nombre de personnes en Algérie croient encore que si elle a abouti dans les termes qu'on lui connaissait au mois de mars 1954, c'est parce qu'il fallait bien que le MTLD prenne des décisions conformes aux objectifs qu'il s'était assignés le jour de sa fondation...A savoir: ou bien choisir de passer à l'action directe en s'engageant dans une guerre libératrice contre la France ou s'immoler sur le champ des entreprises qui n'ont jamais abouti. En réalité le MTLD, succédané du PPA créé sous une forme plus «policée», a été fondé pour réfréner l'ardeur de la nouvelle vague de militants qui commençait à s'impatienter de voir Messali Hadj s'éterniser sur le trône de leur formation. Les remous tiraient à hue et à dia. Mais au plus profond, la grogne des jeunes arrangeait fort bien le grand zaïm qui, dans une confidence que Ferhat Abbas rapporte dans son livre Autopsie d'une guerre , dévoile clairement ses intentions. A la question de savoir ce qu'il allait entreprendre maintenant que la guerre en Europe venait de se terminer, Messali lui répond: «Je vais tenter de créer un parti d'opposition comme tous les partis d'opposition activant en France.» Le tout dit avec une assurance désarmante. Les conflits, notamment armés, qui jalonneront les rapports entre le FLN et le MNA pendant les 7 années et demie de guerre contre le colonialisme français corroborent fort éloquemment les instructions données par Messali Hadj à ses militants dans le but de contrecarrer toute entreprise du FLN-ALN à l'emporter sur l'armée coloniale... Pour autant le débat informel au sein du MTLD n'en poursuivait pas moins son petit bonhomme de chemin. Ces militants, dont les animateurs les plus en vue se regroupaient autour de Benyoucef Benkhedda et de Maître Kiouane dont le but ultime, c'est du moins ce qu'ils espéraient, visait à remettre en cause le pouvoir autocratique de Messali Hadj, n'eurent aucune peine à se rendre compte qu'une bonne partie de l'argumentaire qu'ils envisageaient de développer contre lui existait déjà chez les défenseurs de la démocratie et de l'algérianité dont le parti, franchement méprisant à l'égard de l'Histoire profonde de l'Algérie, avait interdit d'en discuter au sein de ses organes. Pour faire leur choix ils accédèrent à un document qui avait été élaboré par de jeunes universitaires, des contestataires soutenant que la profondeur historique de l'Algérie ne se limitait pas à la version donnée par les historiographes - déjà très controversée pour l'époque - de l'invasion arabe contre notre pays Mabrouk Belhocine, ancien bâtonnier et cosignataire de la plate-forme sur l'algérianité de l'Algérie en 1949, évoque, pour situer dans le temps et l'espace, la revendication démocratique au sein du Parti dans un texte daté de décembre 2001 où il commence par évoquer les grandes étapes du mouvement national pour en situer progressivement l'évolution. Il y eut d'abord l'Etoile Nord-Africaine avec la «vocation indépendantiste» de son programme pour les trois pays du Maghreb : Algérie, Tunisie, Maroc. Créée en 1926, l'Etoile achève de scintiller en mars 1936, sous l'effet d'une dissolution. Naît ensuite le PPA fondé par Messali Hadj en mars 1937 sur la base d'une solidarité plus proche de la religiosité que de l'adhésion fondée sur un engagement rationnel: l'ancien membre du Parti communiste ayant compris que le seul facteur de mobilisation possible pour des ouvriers immigrés et majoritairement analphabètes était la religion dans le sens intégriste du terme, se mit aussitôt au travail. Conséquence: le PPA va s'évertuer à «populariser les concepts d'Algérie, de Nation algérienne et d'action algérienne». Mais d'une Algérie dont l'Histoire est tellement étriquée qu'on ne comprend pas sur quel peuple les Romains ont pu régner chez nous pendant plus de 6 siècles. Le PPA est interdit en 1939. La guerre terminée, la nouvelle donne offre, sans doute pour dédommager les Algériens du sang versé à Monte-Cassino, des possibilités de création de nouveaux partis. Le MTLD, qui naît en 1946, va tenter de suppléer aux carences politiques dues à l'interdit frappant le PPA. On parle de «Triomphe des libertés démocratiques» pour donner le change, mais l'orientation originelle du PPA au sein du nouveau parti ne varie pas d'un iota. L'Algérie «algérienne» est totalement ignorée. Pis, le MTLD qui tenait «à se distinguer du Parti communiste algérien et de l'UDMA de Ferhat Abbas» qu'il trouvait «ou trop timoré ou trop mou», se réfère, écrit M.Belhocine, «à une Algérie arabe ayant vocation à rejoindre la ligue des Etats arabes» créée en 1944 à l'instigation de la perfide Albion pour préparer lesdits Etats à amortir le choc à la naissance de l'Etat d'Israël déjà programmée... Ainsi, rappelle Mabrouk Belhocine dans son préambule, le mémorandum adressé par le MTLD à l'ONU fin 1945 commençait par ces mots: «La nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le 7e siècle». L'abus de ce slogan «Algérie arabe», ajoute-t-il, qui fait fi de l'Histoire et de la composante berbère (ethnie-langue-histoire), n'a pas manqué d'irriter les militants patriotes originaires de Kabylie et de susciter chez eux un sentiment de frustration. Vers la fin de 1948, précise l'ancien bâtonnier, le regretté Ould Hamouda Amar, l'un des cinq lycéens qui avait rejoint le maquis en mai 1945, a demandé aux militants universitaires qu'il fréquentait de rédiger un document qu'il pourrait présenter au comité central du PPA-MTLD dont il était membre. A cette profonde réflexion qui durera une année environ participeront plusieurs patriotes pour la plupart des étudiants à la fac d'Alger, à savoir: Ali Yahia Saïd, étudiant en pharmacie, Belhocine Mabrouk et Yahia Henine: étudiants en droit, Hadjerès Sadek, étudiant en médecine et Si Saïd Oubouzar ancien médersien. Au mois d'avril 1949, atteste M. Belhocine de nouveau, «éclatait au sein de la Fédération de France du MTLD une crise opposant les adeptes de ‘‘l'Algérie arabe'' aux partisans de ‘‘l'Algérie algérienne'', ces derniers qualifiés de ‘‘berbéristes'' alors que l'expression Algérie berbère n'était jamais prononcée...» Pour autant le travail de réflexion ne s'est pas arrêté. Une doctrine est née. Achevée au mois de juin 1949 «il était trop tard, selon Belhocine, pour la soumettre au Comité central, d'autant que le frère Ould Hamouda venait d'être emprisonné...» Mais si pour autant qu'on s'en souvienne elle ne sera jamais soumise officiellement à discussion, elle n'en a pas moins engendré des remous dont le souvenir restera longtemps gravé dans les mémoires.