Près de 67 ans après la publication de "Vive l'Algérie !", la maison d'édition Tafat réédite cet ouvrage d'Idir El-Watani, un document datant de la période coloniale, mais ô combien d'actualité. La maison d'édition algérienne Tafat a réédité, cette année, le livre d'Idir El-Watani (110 pages), un document datant de la période coloniale, mais ô combien d'actualité. Sous le titre de Vive l'Algérie !, celui-ci traite en effet de "l'algérianité" de l'Algérie en opposition à la nation "arabe", telle que formulée dans le mémorandum du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), qui avait été adressée à l'ONU fin 1948. Il s'agit en fait d'une "réflexion" intitulée initialement Vive l'Algérie, avec en sous-titre "L'Algérie libre vivra", qui avait été faite à l'époque par Idir El-Watani, le nom collectif d'un groupe de 5 militants du Parti du peuple algérien (PPA), majoritairement jeunes, à savoir Mabrouk Belhocine et Yahia Henine, étudiants en droit ; Saïd Ali-Yahia, étudiant en pharmacie ; Sadek Hadjeres, étudiant en médecine et Saïd Oubouzar, ancien médersien. Dans l'avant-propos de la nouvelle édition, un des coauteurs de la brochure, Mabrouk Belhocine, revient sur la "genèse" du document d'Idir El-Watani, en insistant sur le contexte de l'époque, marqué par les "compétitions électorales" de 1946, 1947 et 1948, qui devaient opposer le MTLD notamment à l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) et au Parti communiste algérien (PCA), deux partis politiques qualifiés de "modérés", voire de "réformistes", revendiquant une "République algérienne intégrée dans l'Union française". Pour Belhocine, le MTLD, qui revendiquait l'indépendance totale du pays, voulait se distinguer de l'UDMA et du PCA, en se référant à une "Algérie arabe" ayant vocation à rejoindre la Ligue des Etats arabes. Le mémorandum du MTLD adressé aux Nations unies, écrit-il, commençait par ces mots : "La nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis le VIIe siècle". C'est l'abus du slogan "Algérie arabe" qui, d'après lui, a irrité les militants originaires de Kabylie, suscitant, chez eux, "un sentiment de frustration". Autre précision de Belhocine : c'est sur demande du regretté Amar Ould-Hammouda, lycéen ayant rejoint le maquis en mai 1945, à des militants universitaires qu'il fréquentait, qu'est né le document, destiné à être présenté au comité central du PPA-MTLD dont il était membre. Mais, deux mois avant l'achèvement de la réflexion "doctrinale", une crise éclata en France, en avril 1949, au sein de la Fédération du MTLD, opposant les partisans de "l'Algérie arabe" aux adeptes de "l'Algérie algérienne", ces derniers étant qualifiés de "berbéristes". Le coauteur de la brochure note également que celle-ci, une fois terminée, n'a pas pu atterrir au niveau du CC du PPA-MTLD, car "le frère Ould-Hammouda venait d'être emprisonné". Pourtant, ce travail collectif qui défendait la libération "politique, sociale et culturelle" du peuple algérien, le "nationalisme libérateur" et la "démocratie comme principe permanent", n'est pas resté vain. Comme l'explique Mabrouk Belhocine, il fera l'objet d'une "publication doublement clandestine" et nourrira "une action d'opposition à l'intérieur du parti, pour une refondation sur des bases démocratiques et progressistes". Près de 67 ans après la rédaction de cette brochure prémonitoire et un demi-siècle après l'indépendance, l'Algérie continue à "se chercher", encore confrontée à bon nombre de démons du passé. D'où tout l'intérêt de la (re) lecture de l'ouvrage republié par Tafat éditions. H.A