Les réformes, qui avancent lentement, ne répondent guère aux besoins urgents des citoyens pour qui les changements sur le terrain tardent à se concrétiser. Beaucoup d'éminents avocats, consultés à propos de la réforme de la justice, en cours depuis cinq longues années, estiment que «les résultats sont loin d'être à la hauteur de ce qui en était attendu». Ne désirant pas «parasiter» la conférence penchée depuis hier sur le sujet, ces avocats, dont certains étaient membres de la Cnrj (commission nationale de réforme de la justice) ont usé de nombreux euphémismes dans le seul but de ne pas dénigrer, malgré tout, ce qui a déjà été accompli. Or, il n'en demeure pas moins que «les citoyens, justiciables à l'occasion, ont toujours peur quand ils doivent s'adresser à la justice, laquelle continue bien souvent de fonctionner à deux vitesses», disent nos sources. Cela est d'autant plus regrettable, expliquent-ils, que «dans un Etat de droit digne de ce nom, les citoyens vont très volontiers à la justice au lieu de recourir quasi systématiquement à la vendetta, ce qui est encore quelquefois le cas chez nous». Nos interlocuteurs, au passage, confirment les propos du chef de l'Etat, sans doute destinataire de rapports circonstanciés abondant en ce sens, à propos de «la corruption qui mine le secteur de la justice, comme c'est du reste le cas dans beaucoup d'autres secteurs d'activité». Mais nos interlocuteurs, au lieu de s'appesantir sur les récents mouvements opérés dans le corps des magistrats, ou même les limogeages, impensables il y a de cela à peine quelques mois, préfèrent au contraire se demander «pourquoi les inspections supposées contrôler ce corps, mais aussi ceux de la police, de la douane et de la gendarmerie, ne font pas correctement leur travail». Toujours est-il que ces avocats estiment que «la lutte contre la corruption ne passe pas forcément par la hausse des salaires des magistrats». Cela, même si «une amélioration des conditions sociales de ce corps demeure des plus nécessaires». Il faut, au contraire, que «les magistrats viennent à ce métier par vocation, ce qui n'est pas toujours le cas». Le président, qui semble avoir saisi cette problématique, avait lui aussi martelé dans un discours que «ceux qui ne comprennent pas la nécessité et l'esprit des réformes initiées n'ont qu'à déposer leurs démissions». Si la situation demeure préoccupante, et que les réformes en question ne progressent pas assez vite, et pas toujours dans le sens souhaité, nos interlocuteurs insistent sur les priorités de l'heure. La première d'entre toutes est de «garantir une totale indépendance de ce pouvoir vis-à-vis de l'Exécutif». Nos sources, sur ce sujet, déplorent le fait que «beaucoup de magistrats, atteints du syndrome de la charte de 1976, continuent de se comporter en fonctionnaires au lieu d'assumer pleinement leur indépendance et de ne s'en tenir qu'aux textes de loi». C'est, du reste, la seconde priorité mise en avant. Outre le fait que les magistrats, dont les tribunaux et les cours manquent cruellement de moyens, n'ont pas tous accès au Journal Officiel, et encore moins aux cycles de formation. Résultat, beaucoup de magistrats, déjà débordés par les dossiers à traiter, ne peuvent en cerner correctement les contours, et statuer donc en toute équité et connaissance de cause. Cela occasionne des retards importants aussi bien dans le traitement des affaires, que dans la délivrance des verdicts, au grand dam des justiciables. Mais ce n'est pas tout. La spécialisation des magistrats est devenue absolument nécessaire à la faveur des mutations économiques actuelles, qui les mettent face à des affaires d'un genre tout à fait nouveau. Ce n'est pas pour rien, du reste, si un des ateliers les plus importants mis en place à la faveur de la conférence du Palais des nations a concerné «la justice et la mondialisation». Tous les regards seront donc automatiquement braqués sur le Palais des nations pour écouter le discours du président, attendu pour ce matin. Nul doute, estime-t-on, qu'il sera quelque peu critique, et qu'il tracera les nouvelles orientations pour les mois et années à venir. Ici, les expériences étrangères, notamment occidentales, ne seront sans doute pas de trop.