«Ryad Mahrez? C'est un exemple!». A l'AAS Sarcelles, premier club du Ballon d'or africain, les jeunes footballeurs semblent être subitement devenus gauchers, comme leur idole. Né dans cette ville, le champion d'Angleterre avec Leicester sera une des mégastars de la CAN-2017 avec l'Algérie. Sur l'un des nombreux terrains du club omnisports, sorte d'Insep version Val d'Oise avec ses sections athlétisme, tir à l'arc ou encore tennis, les moins de 16 ans régionaux jouent des coudes pour placer un petit mot sur la star à la vue d'un journaliste. Et l'heureux élu ne manque pas de se faire chambrer en cas d'éloge trop appuyé. Sekou et Yanis, milieux offensifs naturellement gauchers, évoquent leur admiration devant l'itinéraire incroyable d'un gamin au physique «chétif», snobé par les centres de formation. Mahrez a végété dans les équipes 2 ou 3 du club francilien jusqu'à ses 18 ans, avant de mettre l'Angleterre à ses pieds à peine cinq ans plus tard. Mohamed, encore un gaucher, parle lui du style «street» (foot de rue) conservé par Mahrez chez les pros. «Quand il est devant un joueur, tu sais il va le «taffer» (l'éliminer, Ndlr). C'est sa spéciale, je kiffe! Imagine t'es devant ton défenseur, tu lui mets passements de jambes, crochets, il tombe: toute la foule se lève! C'est «dar» (trop bien, Ndlr)». «Tout a commencé ici», raconte Faysal Abdelwahbi, 23 ans, un ami d'enfance. «Ce qui se passait au synthétique, c'était un film parce que tout ce que prennent les défenseurs en Angleterre, c'est ce qu'on a pris nous au début: la petite «virgule» contre Manchester United, le crochet à Azpilicueta, ou Demichelis qui se prend un petit «piquet»pour se retrouver à Aquaboulevard», étaille-t-il, suscitant l'hilarité générale. Et Faysal ne veut pas oublier le symbole du Ballon d'or africain décerné à un joueur binational qui a grandi dans «la ville la plus cosmopolite au monde!» «Qu'un Sarcellois arrive à briller au niveau mondial pour nous, c'est une très grande fierté», confirme Mohamed Coulibaly, 30 ans, directeur technique du club et entraîneur de l'équipe senior. «Il ne faut pas oublier le côté français parce qu'il reste un Franco-Algérien. C'est une bonne image pour la ville, au vu de tout ce que l'on peut entendre, la stigmatisation qu'il peut y avoir. Cela montre qu'il y a du talent dans le sport. On aimerait aussi que cela soit dans d'autres domaines». Tous les témoignages concordent, Mahrez, dès son plus jeune âge, était convaincu qu'il réussirait. Même quand ça n'allait pas. «La plupart des jeunes de sa génération avaient signé en club mais lui pas encore. Il était un peu frustré», se remémore Hayel Mbemba, 30 ans, son ancien surveillant dans le collège Chantereine. «Et malgré cela, Riyad arrivait à jurer sur sa vie, la vie de sa mère qu'il serait professionnel. A ce moment-là, nous-mêmes étions pessimistes. Aujourd'hui, il y est arrivé, on ne peut que lui témoigner du respect pour ça». Sa soif de réussite s'est décuplée quand son père, premier de ses soutiens, est décédé en 2006. «Cela lui a donné de la force. Il a vraiment fait ça pour lui, pour moi, la famille», raconte pudiquement son grand frère Wahid, 30 ans. Et d'ajouter que si son cadet a choisi de défendre les couleurs de l'Algérie, «c'est pour son papa», originaire de la ville de Beni Snous (ouest). «Ce qui a fait la différence, c'est qu'il avait toujours un ballon avec lui. A 16-18 ans, quand tu sortais de chez toi tu voulais t'amuser entre copains ou peut-être aller voir des filles. Lui avait son ballon (rires). C'est pour ça qu'il est unique», se souvient Sofiane Seghiri, 26 ans, un autre ami d'enfance. Malgré un essai infructueux en Ecosse à 18 ans, sa détermination finira par payer. Un départ à Quimper (CFA), au Havre (L2) l'année suivante, puis à Leicester alors en D2 anglaise, mettront sa carrière sur orbite. Celui qui a été élu meilleur joueur de Premier League, 7e du Ballon d'or mondial, revient souvent dans sa ville. Et à 25 ans, il peut mesurer l'impact de sa réussite. Pas seulement sa popularité. «Il y a peut-être un effet Mahrez qui a amené des recruteurs anglais ici. On a fait signer deux jeunes, l'un à Nottingham Forest et l'autre à Manchester United. Et ce n'est pas fini», se réjouit Faysal, également entraîneur des moins de 12 ans de l'AAS Sarcelles, avant d'énumérer la trentaine de joueurs pros issus du club comme Steeve Yago (Toulouse) ou Kevin Fortuné (Lens). A dans 10 ans pour faire un reportage sur la nouvelle pépite du club? «On attend que Messi et Ronaldo partent, et puis on rediscutera du Ballon d'Or. On fait comme ça?», lance Hayel, le plus sérieusement du monde.