C'est sans aucun doute la plus belle surprise de ce début de saison en Premier League. Vingt-quatre ans et international algérien, Riyad Mahrez est actuellement le meilleur buteur du championnat et l'homme dont tout le monde parle outre-Manche. Mais sans doute pas autant que dans sa ville natale, à Sarcelles. Avant d'arriver là où il se trouve désormais, le milieu de terrain s'est forgé chez lui. Avec toujours un ballon au pied. Retour à la source, là où tout a commencé. Les habitués le savent peut-être mieux que quiconque. Pour se rendre jusqu'au centre sportif Nelson Mandela, on ne touche jamais vraiment terre. Comme une sensation de vertige permanente, comme en apesanteur sur toutes ces innombrables rues de traverse et ces avenues interminables. Parcourir Sarcelles, commune située dans le Val-d'Oise (95), offre un décor urbain où les bâtiments vétustes et les tours à foison côtoient une esquisse de modernité. Arrivé à destination, c'est un horizon de verdure qui s'ouvre. Telle une récompense après le chemin parcouru. Si d'aucuns improvisent une partie sur un terrain de rugby délaissé, d'autres préfèrent encore profiter de la quiétude des vacances pour se détendre, malgré un ciel nuageux où ne s'invite aucune lueur. Quelques mètres plus loin, ce sont des complexes réservés au karaté et à la piscine qui se présentent aux visiteurs. Vient ensuite la première enceinte de football aux tribunes décaties, le stade Jacques-Brami. Plus loin, c'est un terrain synthétique, refait à neuf il y a quelques années, au nom de Philippe Christanval, l'un des enfants sarcellois les plus connus. Au bord du terrain, l'assistance est d'humeur taiseuse. Le souffle coupé par la débâcle promise dans quelques minutes aux U14 régionaux de l'AAS Sarcelles face à la JA Drancy. À quelques secondes du coup de sifflet final, Mohamed Coulibaly, directeur technique du club à la carrure de rugbyman, s'avance et expose. «C'est chaque année le même processus, entame-t-il, tout de noir vêtu, le regard bienveillant.Quatre, cinq jeunes d'ici partent quasiment chaque année en centre de formation et on doit revoir les bases avec des nouveaux, qui découvrent notamment les matchs sur grands terrains». La plus grande fierté du club aurait pu faire partie de ce contingent annuel de privilégiés. Il n'en a rien été. Riyad Mahrez, actuel meilleur buteur de Premier League avec Leicester et pur produit de la banlieue sarcelloise, n'a pas connu de centre de formation ni les sentiers balisés de la gloire. Sa réussite, il est allé la chercher. Non sans avoir douté. «En termes de parcours, ça reste notre plus grande fierté parce qu'il est atypique. C'est le seul qui a parcouru un tel chemin», embraye à son tour Guy Ngongolo, l'un de ses premiers éducateurs. Parce que les belles histoires sont souvent les plus inattendues. Corps chétif et confiance en soi À première vue, l'histoire de Riyad Mahrez ressemble à tant d'autres. Celle d'un gamin issu des quartiers éminemment talentueux et destiné à briller au sommet. Sauf que pour l'actuel international algérien (17 sélections), son talent n'a pas tout de suite été évident. Loin de là. Lors de ses jeunes années à l'AAS Sarcelles, qui l'a par ailleurs intégré très tôt, il n'est qu'un jeune ordinaire, lambda, voire franchement quelconque. Un joueur technique comme les banlieues parisiennes en offrent à foison, mais en plus desservi par un physique chétif. «Riyad avait treize, quatorze ans quand il est arrivé à l'AAS Sarcelles. C'était un joueur basique, quelconque, qui n'était pas en équipe une, resitue Nzete Ate, ancien manager général du club, avec la conviction de ceux qui savent de quoi ils parlent. Il n'avait rien de bien exceptionnel. Il a tout de même intégré la section sportive, un dispositif mis en place avec la ville de Sarcelles. C'était comme les modèles sport-études avec le collège Chanteraine, situé non loin du club.» Mohamed Coulibaly, qui l'a connu à l'époque en benjamins, se souvient lui aussi des débuts chaotiques de Mahrez. «Au départ, sa technique lui permettait de s'en sortir. Mais quand il est passé au football à onze, ça a été plus compliqué pour lui, car il était en retard morphologiquement entre douze et seize ans. Il était petit et n'avait pas l'impact physique requis. À cause de cela, ça a été un peu difficile pour lui pendant trois, quatre ans. Il évoluait en équipe B. À l'époque, il y avait les championnats des 14 ans fédéraux, soit le niveau le plus haut dans cette catégorie d'âge. Grâce à cette grande visibilité, des joueurs ont pu intégrer des clubs professionnels. Lui, en revanche, était vraiment dans l'ombre.» Pendant un long moment même. Mais même s'il ne parvient pas à attirer la lumière, le gamin le répète à l'envie et à qui veut l'entendre : il deviendra joueur professionnel. Un rêve qui a alors tout d'une gageure. «Je me souviens qu'alors que tous ses potes signaient en centre de formation, un ami qui était surveillant dans son collège m'a confié que Riyad affirmait qu'il deviendrait joueur professionnel. Il avait une grande confiance en lui alors qu'il ne parvenait même pas à jouer en équipe une. Ça témoignait d'une grande force de caractère quand même», ajoute Coulibaly, soucieux de restituer le passé avec véracité. Cette pugnacité inébranlable, parfois moquée par certains, va d'abord le guider dans les catégories plus âgées. «Techniquement, il savait tout faire. Son pied gauche était déjà comme une main» Les années passant, Riyad grandit enfin et s'étoffe un peu plus physiquement, tout en continuant de développer et parfaire sa technique en DHR. «À dix-sept ans, il a eu un déclic. Il a commencé à se développer physiquement, poursuit Coulibaly. Il a débuté en équipe réserve la première partie de saison avant de basculer en équipe première lors de la deuxième partie. C'est là qu'il s'est révélé. Il a marqué des coups francs décisifs, des buts importants.» «C'est en U19 qu'il a tout explosé. Il a eu le déclic et a franchi un cap. Je l'ai fait ensuite monter en seniors. Et ce qu'il faisait en U19, il le refaisait en seniors. Il était au-dessus du lot techniquement», explique à son tour Guy Ngongolo, attablé dans un local du club, claquettes aux pieds, avant de souffler en guise de formule lapidaire : «Il savait tout faire, son pied gauche était déjà comme une main.» Cette technique, devenue au fil des ans de plus en plus fine, le Sarcellois l'a travaillé encore et encore. Inlassablement. Avec la passion du ballon rond comme seul moteur. Bercé par les passements de jambe du Brésilien Ronaldo et les roulettes de Zidane, le gaucher dévore du foot de manière inconditionnelle. Que ce soit dans les rues de son quartier des Sablons ou même en vacances, en Algérie, dans son village de Beni Snous. «Il continuait même de jouer après les matchs, s'amuse Guy Ngongolo. On a un gymnase au club et il restait là-bas souvent tard, parfois même jusqu'à quatre heures du matin. Il aime trop le foot.» Même son de cloche dans la bouche de Nzete Ate : «Ma sœur habitait dans le même bâtiment que lui, et à chaque fois que je passais dans le coin, je le voyais avec un ballon. Que ce soit à 21h, 22h ou 23h, il était en train de jouer. Il faisait notamment toujours des murs avec un ami. Si tu lui proposes d'aller prendre un verre, ça va le gonfler. Mais si c'est pour un match, là il va être directement partant. Et chaque fois qu'il vient jouer, c'est avec de la conviction.» Encore aujourd'hui, même s'il est professionnel, il ne refuse jamais une partie de foot entre potes en Angleterre ou quand il retourne à Sarcelles. C'est aussi ce même amour profond et viscéral qui l'a poussé à s'accrocher à son rêve. Quitte à s'envoler parfois à l'improviste pour effectuer des essais en Espagne, Roumanie ou Ecosse. «Pour l'Ecosse, je me souviens que c'était en fin d'après-midi et qu'on était en bas de chez lui quand le club l'a appelé, se remémore Sofian Seghiri, l'un de ses amis d'enfance. Ils lui ont dit qu'il y avait un avion à Beauvais pour 21h. Il n'a même pas cherché à savoir où il allait, il est parti direct ! » Au nom du père Des efforts qui ont fini par payer au bout du compte. Conscient que Riyad a quelque chose de différent, Nzete Ate décide, en 2009, de faire jouer son carnet d'adresses pour donner un coup de main à son poulain. Celui qui va ni plus ni moins faire basculer son destin. «Nous étions en train de discuter de Riyad avec Guy près du stade synthétique en se disant qu'il fallait faire quelque chose pour lui. Il était 22h et Riyad revenait d'un footing avec son ami Bilel, qui jouait aussi à Sarcelles, raconte Ate, avec une joie à peine dissimulée. Il ne cessait de me dire qu'il voulait percer, je lui ai demandé s'il était prêt à partir : il m'a répondu oui. J'ai donc appelé un ami de Quimper, qui m'a dit qu'il était justement à la recherche d'un gaucher explosif et technique. J'ai dit à Riyad qu'on ne lui payait pas de billets et que s'il voulait réussir, il devait se débrouiller par lui-même.» La suite, Riyad ne la doit qu'à lui-même. À Quimper (2009-2010), en CFA, il apprend. Au Havre (2010-2013), il se révèle. Et, depuis janvier 2014, c'est tout Leicester qui a succombé aux caresses délicates du gaucher. Une insondable fierté pour toute la ville. «L'effet Riyad a eu impact de fou dans la ville. Une vraie bombe», a résumé d'ailleurs Ate. Mais surtout pour l'actuel joueur des Foxes, qui s'était juré à lui-même de réussir pour son père, disparu en 2006. Dans sa jeunesse, son paternel le suivait constamment avec son frère aîné, Wahid, lors des entraînements et des matchs. «Notre père rêvait de le voir un jour professionnel. Si Riyad en est là désormais, c'est surtout une récompense pour lui», s'épanche Wahid, premier fan de son cadet. Une perte tragique qui l'a fait mûrir alors qu'il n'était encore qu'un adolescent de quinze ans. «C'est une personne très croyante, qui a une grande conviction religieuse (Riyad est de confession musulmane, Ndlr), confie Youssef Ghanmi, l'un de ses proches amis. Au cours de cette période difficile qui a été un tournant dans sa vie, il a commencé à prier sérieusement et se rend depuis régulièrement à la mosquée. Le décès de son père lui a fait prendre conscience des choses, il a pris plus de responsabilités après ça.» S'il s'érige désormais comme le porte-étendard de la ville de Sarcelles, Riyad Mahrez n'a pas changé malgré la reconnaissance. Toujours près des siens et de sa famille, toujours proche de ses racines (origines algériennes et marocaines), toujours la même modestie, lui qui est issu d'une mère autrefois femme de ménage dans une clinique et d'un père électronicien. Toujours, surtout, le même amour immodéré pour le ballon rond, comme à ses débuts au quartier. «Je n'ai pas appris le football dans les centres de formation. Je reste encore entier dans ma façon de concevoir le football, exposait-il à Newsouest en 2013. Pour moi, il doit être synonyme de plaisir. Je suis encore dans cette insouciance.» Sans doute le plus bel hommage qu'il pouvait rendre à Sarcelles.