Les tenants du système unique pensaient que parler des poètes kabyles anciens était une atteinte au régime en place. La revendication culturelle berbère avait fait brutalement irruption sur la scène après avoir longtemps fait le dos rond et été portée dans la clandestinité. Le «mauvais coup» fait à un Algérien de valeur, l'écrivain universitaire et chercheur Mouloud Mammeri par des ignares promus «défenseurs» d'une unité nationale, en fait jamais menacée, qui interdirent à ce géant de la littérature d'animer une conférence à l'université de Tizi Ouzou. Les tenants du système unique pensaient que parler des poètes kabyles anciens était une atteinte au régime en place. Ces sbires avaient décidé que l'Algérie était seulement un pays arabe et faisaient tout pour effacer jusqu'à la moindre trace de la berbérité. Bien mieux, ces «responsables de l'échec» et ces artisans du sous-développement militaient pour une répression des penseurs et autres intellectuels qui ne partageaient pas leurs valeurs. Les étudiants ont réagi devant cette entorse grave à la liberté et sortent dans la rue pour clamer leur mécontentement. Le régime, par l'intermédiaire du wali de l'époque, montrait son désarroi. Jamais il ne s'était attendu à pareille réplique de la jeunesse. Aussi, dès le premier jour, ce furent les policiers et les gendarmes qui sont déployés autour de l'université. La poigne de fer est déclenchée contre les jeunes intellectuels. L'Algérie uniciste contre les adeptes de la démocratie et des libertés. L'université résiste Les étudiants réagissent contre ce plan qui est mis en place et s'organisent. Des comités se mettent en place pour appeler les populations et notamment les travailleurs à dire NON au diktat. Il est vrai que la revendication culturelle portée jusque-là par des organisations clandestines et pour la plupart en exil, avait eu du mal à se frayer un chemin dans la société, une société maillée et soumise à une étroite surveillance policière. L'université, à l'époque Centre universitaire de Tizi Ouzou, se barricade. L'hôpital de Tizi Ouzou suit et les unités économiques de la wilaya se rangent spontanément derrière les étudiants. La tension monte. Durant la nuit du 20 avril, les forces de l'ordre montent à l'assaut et, durement, investissent l'université. Les étudiants sont matraqués et des arrestations opérées. L'hôpital n'échappe à la «rafle», plusieurs animateurs de la revendication sont ainsi arrêtés dans l'enceinte du CHU. Les villes et villages de Kabylie apprennent la nouvelle, souvent les événements sont enflés par la vox populi ! On parle de plusieurs morts et même de viols. Ce qui, évidemment, est faux mais allez donc dire aux paysans que les nouvelles ont été enflées. Des vieux et des vieilles descendent des montagnes et vont voir leurs filles résidant à la cité de jeunes filles de M'douha. Après s'être assurés de la santé de leurs enfants, les parents prennent leurs enfants et rentrent aux villages. Les écoles sont fermées et les lycéens comme abasourdis sont à l'écoute des étudiants. Ces derniers, après le moment de surprise commencent à s'organiser et à organiser des actions de protestation : des marches, des conférences sont organisées. Les villageois et les ouvriers s'en mêlent. Les unités de production de la région s'alignent derrière la protesta. C'est à ce moment-là que la revendication culturelle sort de la clandestinité et active dans ce qui sera le MCB. Un mouvement puissant et ancré dans le coeur des citoyens, à l'époque personne ne remettait en cause le MCB. Un appel du mouvement et la population suit. C'est avec le temps que les partis apparus ou sortis de la clandestinité après octobre 1988 ont tellement joué avec le mouvement que ce dernier a fini par éclater en plusieurs ailes. Il a fallu attendre la grève du cartable pour voir une velléité de travail en commun se faire timidement jour entre les deux principales ailes du MCB : les commissions nationales issues du second séminaire de juillet 1989 et la coordination nationale créée par le RCD et à l'époque drivée par Ferhat M'henni. Cette unité ne résista d'ailleurs que l'espace d'un matin. Les accords du 22 avril qui se sont traduits par la mise à l'écart de Ferhat par le RCD ont tracé une ligne de démarcation très nette entre partisans de l'une et de l'autre des deux ailes du MCB. Le mouvement est en fait appelé depuis à un autre séminaire qui attend toujours de se tenir. Pour l'heure, seul El Hadi Ould Ali s'évertue à maintenir la flamme de ce qui fut un grand mouvement. Apparition des archs Durant de nombreuses années, la Kabylie a comme perdu les chemins de la politique se contentant d'un ronronnement singulier. Il est vrai que durant tout ce temps, la région a enregistré les assauts des groupes terroristes et la population se recroquevillait sur elle-même. Il a fallu attendre avril 2001 pour qu'à la faveur d'une bavure de la gendarmerie de Béni-Douala explose une colère populaire longtemps contenue. Un jeune lycéen de Beni-Douala : feu Guermah Massinissa a été assassiné par balles dans les locaux de la brigade de gendarmerie de la localité. Aussitôt, le volcan de la colère s'est mis à déverser ses laves dans les rues des cités et des villes de la Kabylie. Sans doute, peu ou pas entraînés, à ce genre d'incidents, les gendarmes ont fait usage d'armes à feu et tué ainsi plus de 116 jeunes gens. La césure entre la région et ce corps des forces de sécurité est nette et semble-t-il définitive. Pour éviter d'autres morts de jeunes emportés dans leur mouvement de colère et s'attaquant aux brigades de gendarmerie, sont nés les archs. Constitués de représentants des villages et de communes, ils sont chargés de faire cesser la violence et de canaliser la colère. L'organisation s'implante dans le moindre quartier et hameau, les gens s'impliquent de plus en plus et des actions importantes sont entreprises. Des marches monstres sont organisées tant à Tizi Ouzou, Béjaïa qu'à Bouira. Les archs réunis à El-Kseur dans la vallée de la Soummam mettent au point ce qui sera la plate-forme d'El-Kseur. Le mouvement décide le 14 juin 2001 d'organiser une marche à Alger : des centaines de milliers de personnes veulent défiler dans les rues de la capitale et les délégués voulaient remettre les revendications au chef de l'Etat. La manifestation tourne au drame, les citoyens accusés de tous les maux sont chassés manu militari d'Alger. Une autre épreuve attend les membres des archs qui seront pourchassés et pour certains mis en prison. Il avait fallu attendre quelques mois, des mois ponctués de hauts et de bas pour voir enfin la délégation être reçue à la chefferie du gouvernement. Mais dans l'intervalle, le mouvement se disloque, des ailes antagonistes se créent. Mais l'aile drivée par Abrika semble s'en sortir et aidée par la presse s'est vite remise sur selle. Les porteurs de la contradiction apparemment «proches» d'un parti politique ne trouvent pas en fait de prolongement de leurs activités. Un autre mouvement drivé par Kacimi, le délégué de Bouira ayant claqué la porte des archs, s'était signalé lors de l'entre-dialogue. En fait, le ciel des archs, même si l'aile drivée par Abrika semble avoir le vent en poupe, se couvre de nuages. La scène politique régionale veut les ignorer, mais eux, veulent s'imposer. Les faits sont têtus et les citoyens donnent cette pénible impression de vouloir tourner le dos à tous les acteurs politiques. En ce trente-cinquième anniversaire du Printemps berbère et le quatrième du Printemps noir, la Kabylie attend toujours un déclic. Un déclic qui semble long à venir! Mais aujourd'hui c'est le temps du souvenir... Un souvenir douloureux s'il en est !