C'est une Europe en pleine tempête qui va célébrer en fin de semaine à Rome le 60e anniversaire de son traité fondateur, en proclamant son unité et son «avenir commun» face aux vents de la discorde, du doute et de la défiance populiste. Une célébration romaine d'ores et déjà à l'ombre du Brexit, dont le Royaume-Uni lancera, presque immédiatement après, le 29 mars, le processus complexe et sans précédent. Brexit, mais encore vague migratoire, crise économique, terrorisme, repli identitaire: conçue à six pour reconstruire l'Europe après la Seconde Guerre mondiale, l'Union européenne à 27 est-elle menacée de disparaître? Tout le monde - des fédéralistes aux nationalistes - s'accorde en tout cas à reconnaître que l'UE traverse le pire marasme depuis son acte de naissance le 25 mars 1957 à Rome. «L'heure n'est plus à s'imaginer que nous pourrions tous faire la même chose ensemble», a récemment admis le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui plaide pour «une Europe à plusieurs vitesses». Il y a 60 ans, l'Allemagne, la France, l'Italie et les pays du Bénelux s'engageaient à «établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens». Samedi à Rome, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE se retrouveront à 27 au Capitole, dans la salle des Horaces et des Curiaces où fut signé le traité historique (en fait deux traités: l'un économique, l'autre atomique). Sans la Britannique Theresa May qui a décidé d'activer la procédure de séparation d'avec le bloc européen quatre jours après. Dans une déclaration solennelle, les 27 se diront «déterminés à rendre l'Union plus forte et plus résistante, grâce à une plus grande unité et solidarité entre nous». Une «Union indivisible», en réaction au Brexit. «Rome doit marquer le début d'un nouveau chapitre» pour une «Europe unie à 27», estime Jean-Claude Juncker. Mais au-delà de la profession de foi et des «belles paroles», les dirigeants européens savent bien que l'Union, si elle veut se sauver, doit «se rapprocher de ses citoyens», comme l'a souhaité le président du Parlement européen Antonio Tajani dans une tribune au journal Le Monde, et ce afin de répondre aux populistes qui, à l'instar de la Française Marine Le Pen, présidente du parti Front national (FN), dénoncent au nom du «peuple» les «dérives totalitaires» de l'UE, et prônent la sortie de l'euro. Pour faire avancer le projet européen, le président de la Commission a dévoilé le 1er mars, dans un «Livre blanc» sur l'avenir post-Brexit, cinq pistes de réformes de l'UE. L'un des scenarii suggère que l'Union se «recentre» sur le marché unique, pour tenir compte du fait que les 27 «ne sont pas capables de trouver un terrain d'entente dans un nombre croissant de domaines». Un autre propose au contraire de «faire beaucoup plus ensemble», vers un Etat fédéral, en élargissant les partages de compétences entre les 27 et en accélérant les prises de décisions de l'UE. Entre les deux options, des voies intermédiaires sont tracées, comme celle d'une Europe «à plusieurs vitesses» - appuyée par Paris et Berlin - «où ceux qui veulent plus font plus ensemble», par exemple en matière de défense, de sécurité ou sur l'Union économique et monétaire (UEM). Au risque de renforcer l'impression «d'un système compliqué», rendant l'UE «encore plus incompréhensible qu'aujourd'hui» pour le demi-milliard de ses citoyens. «L'Europe différenciée est déjà une réalité - certains pays sont dans la zone euro, d'autres pas - sans que cela motive d'ailleurs les moins intégrés à accélérer», explique Charles de Marcilly, responsable à Bruxelles de la Fondation Schuman. L'Union à «différentes allures» se heurte toutefois au refus des pays d'Europe de l'Est et centrale, les derniers entrants, qui craignent d'être exclus du «club» en raison de leur hostilité récurrente aux projets de Bruxelles, comme l'a encore montré la fracture avec Varsovie lors du dernier sommet de l'UE. «En réalité ceux qui craignent cette mosaïque européenne ont peur d'être relégués en deuxième division», relève M. de Marcilly.