«D'aucuns ne réfutent que le glissement vers l'informel continue.» Après un silence qui aura duré des mois, l'ancien candidat à la présidentielle, dépité et un tantinet morose depuis cette échéance, est revenu sur la scène nationale plus virulent et plus pugnace que jamais. Sévère réquisitoire contre les gouvernants en place qu'a dressé ce battant de la politique connu pour avoir tenté une brèche dans le système autarcique socialiste en libérant les énergies et en ouvrant le champ, notamment celui des médias et de l'économie de marché. Dans une sortie tonitruante non dénuée de bon sens, il n'a pas mâché ses mots pour vilipender le système actuel qui évolue dans une logique de mondialisation sauvage. Mouloud Hamrouche l'ex-Premier ministre, a, lors d'une conférence-débat organisée par la Confédération des cadres de la finance au sein de son club à Didouche Mourad, a passé au peigne fin la situation économique nationale non sans une pointe d'amertume mais dont on ne peut néanmoins occulter le caractère pragmatique et rationnel. Sous le thème générique «La privatisation : un préalable ou une conséquence de la mondialisation», l'ancien homme du pouvoir a longuement disserté sur les réformes dont il a été l'initiateur vers la fin des années 1980. Sans la moindre indulgence pour les actuels dirigeants, il a brossé un tableau des plus sombres de l'état des lieux sur tous les plans. Profitant de la tribune qui lui a été offerte, il a tiré à boulets rouges sur les privatisations tous azimuts qui s'opèrent présentement dans le flou le plus total et sans aucune visibilité et qui connaissent selon l'orateur «une situation de flottement, pire d'impasse». «Des experts reconnaissent, a-t-il ajouté, que le pays connaît des déficits, des abus et des passe-droits qui érodent le champ des garanties, agrandissent l'espace de l'informel et amplifient les rancoeurs sociales. Des explications officieuses ont attribué cela tantôt à des résistances, des inerties et des dysfonctionnements, tantôt à l'insuffisance des offres, au désintéressement des partenaires étrangers et accessoirement la mauvaise humeur des travailleurs». Et d'enchaîner, «ces constats et ces appréhensions sont partagés au niveau de toutes les sphères de décision, de l'expertise nationale et internationale et de celle des chefs d'entreprise et des salariés. C'est une problématique de système et non d'économie», a-t-il déduit. Mouloud Hamrouche dont la proposition de «légaliser le trabendo afin de mieux le contrôler» a provoqué une levée de boucliers à l'époque où il tenait les rênes de l'Exécutif, n'a pas caché ses appréhensions en affirmant que «d 'aucuns ne réfutent que le glissement vers l'informel continue» dont les ramifications tentaculaires «sont à l'intérieur du système.» Etayant son argumentaire sur des exemples pratiques et un savoir empirique, il a invité sur un ton ironique les présents à se rendre compte de la véracité de ses propos en faisant une virée dans «les places boursières» de Square Port-Saïd, et autres lieux de change où l'argent coule à flots au vu et au su de tous. Il a fait état des opérateurs qui «avouent cheminer en dehors des normes établies». «Le gros des affaires, a-t-il révélé, se traite à la lisière du légal. Exprimer sa foi en des vertus de l'économie de production, croire dans la poursuite des réformes ou dans un projet industriel frise la naïveté. Plus personne ne s'intéresse à la valeur ajoutée. Personne ne se préoccupe du travail et du marché de l'emploi. Le système fiscal et les charges n'ont plus de signification économique ou sociale. Il ne sert à rien de se laisser aller à la rhétorique . Le pays a gâché sa réforme interne et a échoué à assumer les réformes demandées de l'extérieur par le biais de la Banque mondiale et du FMI». Il a crié haro sur le système financier en mettant en évidence la déliquescence des banques algériennes en justifiant toutefois que la loi sur la monnaie et le crédit promulguée du temps où il occupait le poste de Premier ministre a été élaborée sur une logique d'ouverture et dont le but était d'organiser les banques. «Cette loi, a-t-il confié, n'a pas été respectée et encore moins appliquée. Les banques privées ont été créées puis liquidées en dehors de cette loi». Pour l'orateur des facteurs endogènes sont à l'origine du statu quo. Les raisons de ces blocages et de ses errements sont multiples a -t-il argué, ils tiennent, a t-il expliqué à «des défauts majeurs, à la fois politiques, économiques et juridico-techniques». Cela se traduit selon son évaluation par «l'absence de consensus clair et ferme, défaut d'appui et d'expertise d'accompagnement sur la base d'ingénieries qui fixent et contrôlent le mode d'emploi, une ambiguïté dans la démarche y compris dans son mode de pilotage stratégique et opérationnel de ses différentes séquences, contrôle bureaucratique total de la sphère économique y compris pour la partie privée, défaut de contrôle et de contre-pouvoir». Il a également décrié «la défection des dirigeants et gestionnaires dans les stratégies industrielles mais aussi l'absence d'actions crédibles à préserver l'équilibre social et les droits des fragiles». Le même constat est fait sur les autres plans. L'homme politique a regretté le manque d'instruments socio-économiques de régulation, manque de compétitivité et de souplesse structurelle rigidité des caractéristiques. Sur le chapitre juridique, il a souligné «la carence de sûreté des droits de propriété publique ou privée, l'insuffisance de garanties et de transparence, l' extension de privilèges, d'abus, de passe-droits, interférence dans les conditions de vente et octroi de prêts, incursions bureaucratiques dans les pratiques commerciales, opacité dans les subventions, conditions discrétionnaires d'investissement, défaillance des organes de contrôle des marchés et absence d'une autorité financière».En disséquant avec la froideur d'un scientifique la réalité amère ou les dessous de l'économie algérienne «l'homme des réformes» a touché du doigt là où le bât blesse. Son constat reste sans appel «je ne pense pas, a-t-il martelé que la situation changerait dans 15 ans même avec 55 milliards de dollars injectés dans le plan quinquennal et alloués à la relance». Il s'est interrogé sur l'utilité de privatiser «dans ces conditions, y compris par des voies autoritaires alors que le champ économique est fermé, l'injonction est de mise, l'arbitraire à la place de la protection légale et l'abus faisant office de régulation».En conclusion, il prône un projet global de modernisation pour peu que l'on définisse les orientations que l'on veut faire prendre au pays.