L'ancien chef de gouvernement sous Chadli, Mouloud Hamrouche, multiplie depuis ces derniers mois apparitions publiques et déclarations sur la situation générale du pays. Connu pour sa discrétion et son extrême réserve (ses incursions calculées dans le débat public et politique diront d'aucuns) depuis qu'il a quitté la tête du « gouvernement des réformes » en juin 1991 dans les conditions d'instabilité politique née du mouvement de désobéissance civile conduit par l'ex-parti dissous, Hamrouche s'est imposé une ligne de conduite qui consiste à ne jamais forcer le destin. Pour le discréditer, ses adversaires politiques lui reprochent de cacher son jeu et de ne pas assumer ouvertement et publiquement les réflexions, analyses et attaques en règle contre le système qu'il développe en privé, en off, lors de ses rencontres avec les journalistes au hasard d'une activité à laquelle il est convié. Parce qu'il s'est toujours revendiqué comme étant un « enfant du système », ses sorties publiques et ses déclarations font toujours les choux gras de la presse et sont l'objet de lectures croisées par la classe politique qui tente de décoder les messages cachés. « Je ne me présenterai jamais contre le candidat de l'armée. » Cette déclaration faite par Hamrouche en 1995, à la veille de l'élection présidentielle qui avait consacré la victoire de Zeroual, lui colle à la peau et le suit comme son ombre. Il savait alors que le combat pour la course à la présidentielle était perdu d'avance. Il était convaincu que le Pouvoir avait déjà fait son choix et jeté son dévolu sur son candidat , en l'occurrence Zeroual. Il n'y a pas longtemps, alors que nous lui demandions ses impressions sur la situation du pays, il eut cette réponse tranchée : « Il ne se passe rien dans le pays qui puisse susciter un quelconque commentaire », avait-t-il observé. Qu'est-ce qui a bien pu se passer alors dans le pays aujourd'hui pour que Hamrouche éprouvât subitement le besoin de briser le silence qu'il s'est imposé, investissant les espaces publics et répondant volontiers à des invitations d'associations de la société civile, des médias, des partis politiques où il ne se prive plus, de surcroît, de prendre la parole pour dire tout haut ce qu'il pensait tout bas il y a peu ? Les propos qu'il a tenus lundi à Kherrata, à l'occasion de la commémoration des massacres du 8 Mai 45 sur le pouvoir qu'il a descendu en flammes, sont sans concessions. Il n'a pas hésité à parler de « tyrannie », d'« injustices », de verrouillage de la vie politique et syndicale, de mythe des réformes, d'échec... « Vous savez comme moi que les choses vont très mal », a-t-il lancé à la tribune devant les invités de l'Onec (Organisation nationale des enfants de chouhada) et de l'Onm (Organisation nationale des moudjahidine) qui soutiennent le programme du président Bouteflika. C'est Kafka revisité. L''invitation adressée à Hamrouche par ces deux organisations satellites du pouvoir est déjà en soi un acte de dissidence politique qui ne dit pas son nom, même si on peut concéder à ces organisations le fait d'avoir invité Hamrouche en sa qualité d'enfant de chahid et de membre honorifique de l'Onec. Mais de là à ce que la présence de l'ancien chef de gouvernement se transformât en opportunité politique pour brocarder le pouvoir sous l'œil bienveillant de ces deux organisations, il n'y a qu'un pas que Mouloud Hamrouche n'a pas craint de franchir ! Le tout est de savoir si la partition était bien réglée à Kherrata, autrement dit si les musiciens et le public étaient sur la même longueur d'onde ou bien alors si Hamrouche a exécuté sa partition en solo, piégeant tout son monde. Ceux qui ont approché Hamrouche de près savent que ce dernier n'est pas homme à effectuer des exercices périlleux de trapèze sans filet. S'il descend aussi bruyamment dans l'arène aujourd'hui, c'est, dit-on, qu'il est sûr de son fait. Et pour tout dire que l'on a battu son rappel pour le préparer aux futures échéances électorales. Les observateurs politiques n'ont pas manqué de relever à cet égard que les propos qu'il tient sont ceux d'un homme d'Etat et non pas ceux d'un homme politique subalterne. Il reste cette question lancinante : pourquoi Hamrouche a-t-il forcé la cadence que ce soit dans l'occupation du terrain que dans le durcissement de ses critiques du pouvoir alors que l'on est encore loin des prochaines élections présidentielles puisque trois longues années nous séparent de ce rendez-vous électoral ? A moins que l'ancien chef de gouvernement ait été instruit par les sphères de décision sur d'éventuelles échéances électorales avant l'heure que pourrait justifier l'état de santé de Bouteflika et qu'il a été choisi pour la course à la succession qui n'est pas à écarter compte tenu de ce qui reste de la durée du mandat en cours et de la fragilité de la santé du Président.