Edouard Philippe, choisi lundi comme Premier ministre par le nouveau président français Emmanuel Macron, est un élu de la droite modérée, peu connu du grand public, et favorable à une «majorité d'un nouveau type», secouant le clivage traditionnel de l'opposition entre la droite et la gauche. Le centriste Emmanuel Macron «devra transgresser. Sortir du face-à-face ancien, culturel, institutionnalisé et confortable de l'opposition droite-gauche pour constituer une majorité d'un nouveau type», écrivait-il, prémonitoire, dans une des chroniques sur la présidentielle qu'il a tenues pour le quotidien Libération. Le parcours de cet homme barbu aux yeux pétillants et au front dégarni illustre la «transcendance» politique qu'il prône, en écho d'Emmanuel Macron: il a milité lui-même dans sa jeunesse pour le socialiste Michel Rocard, l'ancien Premier ministre fervent défenseur d'une gauche sociale-démocrate, avant de rejoindre les rangs de la droite. Comme Emmanuel Macron, l'actuel maire de la ville portuaire du Havre (nord-ouest), 46 ans, a été formé dans les plus grandes écoles françaises avant de devenir haut fonctionnaire, puis de passer comme lui par le secteur privé. Les deux hommes «se connaissent et s'apprécient, à la fois pour leur honnêteté intellectuelle et leur rigueur», selon Benjamin Griveaux, porte-parole du parti présidentiel. L'entourage d'Edouard Philippe le décrit comme un esprit «brillant» et «moderne» mais parfois «cassant», à l'image de celui qu'il a longtemps considéré comme son «patron», l'ancien premier ministre Alain Juppé, porte flambeau de la droite modérée battu à la primaire de la droite organisée fin 2016. C'est d'ailleurs Alain Juppé qui lui proposa en 2002 de participer à la fondation d'un nouveau parti destiné à rassembler les différents courants de la droite et du centre, l'UMP. Germanophone, marié et père de trois enfants, cet amateur de boxe se définit cependant comme «beaucoup plus libéral qu'Alain Juppé». Il confiait en 2015 s'entendre «très bien» avec le ministre de l'Intérieur socialiste de l'époque Bernard Cazeneuve «qui a le sens de l'Etat» et qui deviendra le dernier Premier ministre de François Hollande en décembre dernier. Engagé dans la campagne du conservateur François Fillon, Edouard Philippe s'était mis en retrait début mars au moment où le candidat a annoncé sa prochaine mise en examen pour «détournement de fonds publics», dans une affaire d'emplois fictifs au profit de sa famille. La semaine dernière encore, le chef de file de la droite pour les législatives, François Baroin, disait «ne pas imaginer une seule seconde» ce type de «débauchage» alors que son camp est lancé dans la bataille des législatives, les 11 et 18 juin. Edouard Philippe a démarré une carrière politique locale en 2010, quand le maire de droite du Havre, démissionne en le désignant comme successeur. Ce petit-fils de docker confirme son ancrage en devenant député de la circonscription en 2012 sous l'étiquette Les Républicains (droite). Ce mince quadragénaire né le 28 novembre 1970 à Rouen (nord-ouest) a suivi une formation ultra classique - classe préparatoire littéraire, Sciences-Po, Ecole Nationale d'Administration - avant de rejoindre le Conseil d'Etat. Devenu avocat spécialisé en droit public, il travaille pour un cabinet d'avocat anglo-saxon puis devient directeur des affaires publiques du groupe nucléaire Areva. Opposante communiste au Havre, Nathalie Nail note ses similitudes avec Emmanuel Macron, en critiquant un «louvoiement entre la droite et la gauche». «Ces gens-là ont une formation Sciences po-ENA et après ils choisissent en fonction des opportunités», dit-elle. Ses parents professeurs - son père est décédé - lui ont donné le goût des lettres: avec son compère et ami Gilles Boyer, juppéiste comme lui, Edouard Philippe a écrit deux romans policiers. Dans son livre sur Alain Juppé «Lapins et Merveilles», la journaliste Gaël Tchakaloff livre d'Edouard Philippe un portrait cinglant: «arrogance, excès de confiance en soi et ambition démesurée». «Un audacieux dont les ambitions étranglent la témérité», tranche-t-elle. «Il n'est pas très accessible», renchérit un élu normand qui ne lui trouve pas «une chaleur colossale» mais voit en lui un homme «de qualité».