Pour 28.000 euros, vous pouvez avoir une chambre au Martinez, le palace de l'autre bout de la Croisette. Pour une nuit. Mais vous aurez... 1000 mètres carrés, rien que pour vous... Comme Monica Belluci, quoi... Et comme elle a passé quatre nuits à Cannes... Faites vos comptes ! Juliette Binoche est descendue dans ce même palace, mais sa suite avait des dimensions «plus modestes»... Elle était ici pour défendre l'insondable film Caché de Michael Haneke, cinéaste avec qui elle a déjà travaillé («Code Caché»). Binoche, lors de son séjour à Alger en 2003, bref mais très fort, selon ses propres mots, nous avait parlé de son empressement à faire ce film que l'auteur de La Pianiste lui avait présenté comme se situant «autour de la guerre d'Algérie» (sic)...Maurice Benichou, un des acteurs fétiches de Peter Brook, Algérois de naissance, est là pour rappeler cette vague «promesse». L'autre Algérois du film, Daniel Auteuil a, lui aussi, son idée sur la question mais auparavant il rappelle: «J'ai en particulier, en mémoire, cette photographie (d'Elie Kagan, Ndlr) prise lors de la fameuse manifestation d'octobre 1961 : ils étaient en costume et cravate. De la dignité. La génération suivante a voulu s'intégrer à mort, devenir «français-français», avec ce que cela comporte de renoncement. Disant cela, je ne juge surtout pas (...)». Pour Auteuil donc, son personnage dans Caché se situe dans ce milieu petit bourgeois, bien installé, et qui, d'une certaine manière, traduit la culpabilité d'un pays, d'un peuple. Là, la guerre algérienne étant inscrite en un mince filigrane. Reste un film sur l'humain, assez «hanekien», dans ce qu'il recèle comme labyrinthes... La phrase clé, à notre avis et qui s'appliquerait à tout être à un tournant de sa vie, à un changement s'annonçant, une idée, est presque en contrebande dans cette oeuvre: «Trop à perdre pour renoncer»!... Le soudeur autrichien fait, dans ce film français, se raccorder les morceaux d'un puzzle, celui de la génération des années soixante avec celle de maintenant. Auteuil, malgré l'accueil presque glacial du public, peut prétendre, à ce jour, au Prix d'interprétation, tant son jeu est d'une fluidité déconcertante : «A vrai dire, je pense «léger» quand je joue. Il y a beaucoup de choses à faire simultanément lors d'une prise : repérer les marques au sol, bouger, manipuler des objets et faire tomber le texte au bon endroit». Et quand on sait que Haneke fait des plans-séquences avec des textes de pas moins de cinq pages, on apprécie d'autant la performance d'acteur «C'est le plan, par excellence, où chacun dépend des autres et celui où, par conséquent, j'ai le moins d'angoisse. Il y a tant d'impératifs que je me mets en roue libre», ainsi parle Daniel Auteuil d'un de ses derniers films - il est présent en compétition aussi avec le film des frères Larrieu Peindre ou faire l'amour, intéressant programme... Il en a fait pourtant une bonne soixantaine de films !... Lars Von Trier dans Manderlay, une suite de Dogville, même s'il abonde dans une théâtralisation à outrance (dans le fond et surtout dans la forme), prend, lui aussi, un plaisir certain à aller très loin avec les acteurs. Dans Dogville, le réalisateur danois explorait les tréfonds de l'Amérique de la dépression, après la crise de 1929. Rappelons que dans ce film, les «maisons» et donc les pièces, les meubles, mais aussi les chiens sont dessinés à la craie, au sol... Cette fois, toujours dans cette même époque, il se tourne vers les descendants d'esclaves, les Noirs. Mais, prudent, Lars Von Trier tempère la portée de son propos: «Un artiste ne peut pas apporter grand-chose, sauf briser quelques tabous qui paralysent la démocratie. Il n'a pas de réponses à apporter, mais il peut poser les questions et ouvrir le débat». Ne pas se poser en juge, même s'il puise dans des faits historiques... Von Trier pourrait même faire une incursion dans le débat de l'heure en Algérie, à propos de l'amnistie, surtout lorsqu'il parle de la question raciale «qui reste une blessure sensible et avant de la guérir il faut au moins la reconnaître». Donner de l'empathie à celui qui se sent blessé pour pouvoir lui demander plus, c'est le «turn point» (pour parler comme un scénariste) dans la mise en place d'une coexistence pacifiée. «Ma liberté limite la vôtre» reconnaît Lars Von Trier. Comment trouver l'équidistance afin que le point de rupture ne prenne pas le dessus sur le point d'équilibre? C'est le programme de tout une vie pour celui qui choisit de la vivre et non pas de la subir ad vitam aeternam ! A la fin de Dogville, Grace (Nicole Kidman) s'en allait de cette ville. Bryce Dallas Howard (Kidman n'étant pas libre), la nouvelle Grace, arrive donc dans la plantation de Manderlay où sa mère, une riche fermière sur le déclin de sa vie, la mythique Lauren Baccal, maintient en l'état les règles de l'esclavage en vigueur dans l'Alabama. Grace veut être ce que, dans la réalité, Jane Fonda (donc plus tard) a été durant la guerre du Vietnâm... «Un film qui est de l'ordre du conte, de la fable politique et sociale» énoncé ainsi, Manderlay devrait plaire à Toni Morrison, l'écrivain noire américaine, membre du jury, mais Lars est lucide puisqu'il ajoute que son film «n'est ni politiquement, ni socialement correct»... Après cela, on n'a même plus envie d'évoquer le monde de Star Wars 3 de G. Lucas, qu'on a, du reste, pas vu. Pas du tout par réflexe anti-américain. Tout en étant certes irrémédiablement anti-yankee. La nuance? Elle est à trouver dans les livres d'histoire contemporaine et dans le cinéma, dans la différence qu'il y a entre Sean Penn et Bruce Wyllis ou Terrence Mallick (ou Jarmush) et tous les autres employeurs de Tom Cruise, Stallone etc. La liste est longue hélas.