Le cinéma a de moins en moins de frontières. Seuls les cinéastes ont une nationalité. Une évidence à rappeler à certains bureaucrates, de temps en temps. Cela ne fait pas de mal. Djamel Bensalah a son nom sur un immense panneau publicitaire, trônant sur le fronton d'un des plus grands palaces de la Croisette. Son dernier film, tourné en Roumanie, s'annonce comme étant l'événement des fêtes de fin d'année en France. Cette case est généralement réservée aux mastodontes de Walt Disney... Mais avec un film de 15 millions d'euros, Bensalah et son producteur veulent tenter le coup. Pendant ce temps, on apprend par des amis marocains que Merzak Allouache, n'ayant pu avoir le feu vert pour tourner dans son pays, a dû se replier sur...le Maroc! Début du tournage en juin... Juliette Binoche, quant à elle, tournera dans le prochain film de l'Iranien, Abbas Kiarostami, Copie conforme. Une première, tout de même, Kiarostami ne tourne pas en Iran mais en Italie, et les dialogues seront en français, anglais, italien et, bien sûr, en farsi. Et pendant ce temps, dans le casier de presse, un carton annonce que Gilles Jacob, le patron du Festival, et le ministre du Tourisme libanais sont invités à la fête à l'occasion de la Journée du Liban, à Cannes. Il faut dire que le pays du Cèdre a le vent en poupe. En une année, deux millions de spectateurs ont fréquenté les 87 salles libanaises. Et même si, pour le moment, ils ne produisent que 2 ou 3 films par an, la fondation Liban Cinéma soutient financièrement la réalisation et la promotion des films au niveau «local, régional et international» et ce, depuis sa création en 2003. En plus du fonds de soutien alloué par le ministère de la Culture. Aimée Boulos, la présidente de la fondation, précise qu'«il existe six écoles de cinéma au Liban qui permettent à leurs étudiants de travailler sur des fictions et des documentaires. Malgré la guerre de l'été dernier, le Liban a produit quatre longs métrages (...) Même que les événements tragiques de l'été dernier ont nourri les récits de certains de leurs auteurs. Mais de manière générale, les films restent difficiles à monter sans coproducteurs étrangers, le plus souvent français», conclut-elle. Cette année, l'Etat libanais a de bonnes raisons de faire la fête à Cannes: deux films ont été sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs! Quand on a quelque chose à proposer ou à montrer, il est bien évident que Cannes est le lieu tout indiqué. En 2005, les retombées financières s'élevaient à 814 millions d'euros pour une mise de 20 millions, représentant le budget global du festival. Un ami, responsable d'une délégation des Balkans, confiait que, pour leur participation cette année, ils ont tenu pas moins de six réunions de préparation tout le long de l'année. Même la nouvelle ministre de la Culture française, Christine Albanel, a dit, entre les lignes, presque la même chose: obligation de résultats! Lisant la lettre adressée par Nicolas Sarkozy à Gilles Jacob (et aux cinéastes, par ricochet), elle a quand même réussi à faire sourire l'assistance avec un passage de cette missive où le chef de l'Etat français use d'une figure de style pour rassurer et pour montrer qu'il est up to date!: «Pour reprendre deux jolis titres de deux grands films récents, qui m'ont particulièrement touché, merci de nous donner le goût des autres et merci de nous rapprocher de la vie des autres.» C'est de la vie des autres que, justement, le cinéaste autrichien, Ulrich Siedl, se proposait de nous parler avec Import-Export. Il avait dérangé plus d'un avec Dog Days, mais là il a fricoté avec les limites du supportable avec ses deux histoires croisées: celle d'une infirmière ukrainienne obligée de venir en Autriche chercher du travail. Et deux Autrichiens qui partent avec des ordinateurs bons à la casse et autres distributeurs de bonbons d'un autre âge à livrer à des «clients» serbes et ukrainiens. L'exploitation sexuelle, la misère, la saleté et un véritable Calcutta pour gitans serbes d'un côté, et un décor autrichien aseptisé d'un hôpital pour personnes en fin de vie et dépendantes, de l'autre. Le yoyo est insupportable. Il nous renvoie à notre impuissance et à nos démissions face à ces «centrales nucléaires» qui ont pour combustible la misère humaine et qui finiront pas nous exploser à la face, si on ne fait pas ce qu'il faut. C'est violent, lent et bouleversant. Avec beaucoup de décence il montre des images qui sont indécentes, déjà en elles-mêmes. Du coup, on décide de reporter au lendemain notre commentaire sur Mighty Heart (Un Coeur invaincu) de Michael. Winterbottom, qui raconte l'enlèvement du journaliste David Pearl par des terroristes terrés dans la banlieue de Karachi... Le film est honnête mais, encore une fois, cinglant. L'on se surprend à remercier le ciel de vivre loin de cette région du monde qui se trouve, en fait, dans une impasse avec des millions d'autochtones en otages.