En cause, la méthode préconisée par le gouvernement conservateur, qui sollicite des pouvoirs exceptionnels afin de procéder lui-même aux lourdes modifications nécessaires pour transposer le droit européen. Les députés britanniques ont voté hier pour la première fois sur le projet de loi gouvernemental destiné à mettre fin à la suprématie du droit européen, en pleine polémique sur l'étendue des pouvoirs que ce texte octroie à l'exécutif. Baptisé «Loi de (retrait de) l'Union européenne», ce document vise à abroger l'»European Communities Act» de 1972 qui avait marqué l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne et introduit la primauté du droit communautaire sur le droit britannique. Il doit également transposer telles quelles ou amendées une grande partie des lois européennes dans le droit britannique, un travail titanesque au regard des quelque 12 000 règlements européens qui s'appliquent actuellement dans le pays. Concrètement, cette loi doit permettre au Royaume-Uni de continuer à fonctionner normalement lorsqu'il aura effectivement coupé le cordon avec l'UE, soit fin mars 2019 théoriquement, à l'issue du processus de négociation avec Bruxelles. Son passage devant le Parlement constitue donc l'une des grandes étapes dans la mise en oeuvre du Brexit, après le référendum historique sur l'UE du 23 juin 2016 et l'activation, fin mars, de l'article 50 du traité de Lisbonne, qui a officiellement déclenché la procédure de divorce. Mais à peine commencé, son examen rencontre déjà l'opposition de nombreux députés. En cause, la méthode préconisée par le gouvernement conservateur, qui sollicite des pouvoirs exceptionnels afin de procéder lui-même aux lourdes modifications nécessaires pour transposer le droit européen. Impensable pour l'opposition travailliste, qui a dénoncé un «affront» au Parlement et déposé un amendement visant à faire capoter le vote, au motif que le texte confèrera à l'exécutif «des pouvoirs étendus (...) sans contrôle parlementaire significatif ou garantie». «Ce monstrueux projet de loi d'abrogation est un coup de force qui met la démocratie sur la touche», a insisté Keir Starmer, le Monsieur Brexit du Labour, dans le Sunday Times. Les prérogatives dont pourrait disposer l'exécutif inquiètent également les syndicats. «Il est ulcérant de voir un gouvernement qui a promis de protéger les droits des travailleurs présenter un projet de loi sur le retrait de l'UE truffé de failles sur les droits des travailleurs», a dénoncé dimanche la secrétaire générale de la confédération syndicale TUC, Frances O'Grady. Malgré l'hostilité du Labour, des centristes du parti Libéral-démocrate, favorable à l'UE, ou des indépendantistes écossais du SNP, le texte devrait néanmoins, sauf coup de théâtre, être voté lundi, la Première ministre Theresa May disposant de la majorité absolue (même si celle-ci est courte, la marge actuelle étant de 13 voix) grâce à son alliance avec le petit parti ultra-conservateur nord-irlandais DUP. «Nous encourageons tous les députés à soutenir» ce texte, a déclaré hier le porte-parole de Mme May, se disant confiant dans le résultat du vote attendu pour la toute fin de soirée. La veille, le ministre du Brexit, David Davis, avait mis en garde, disant qu'»un vote contre ce projet de loi est un vote pour une sortie chaotique de l'Union européenne». Il avait ajouté qu'»entreprises et particuliers» avaient besoin d'être «rassurés» sur la sortie du giron européen. Le texte doit ensuite être étudié dans le détail par la chambre des Communes, étape au cours de laquelle des amendements pourront être déposés. Signe d'un pays toujours divisé sur la question, plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi dans le centre de Londres pour demander au gouvernement de «renoncer au Brexit». «A l'aide! Nous sommes pris au piège sur une petite île contrôlée par des cinglés!», clamait un message écrit sur une pancarte au milieu d'un océan de drapeaux européens.