La justice espagnole devait demander hier à la Belgique de lui livrer Carles Puigdemont, au lendemain de l'incarcération de huit membres de son gouvernement destitué au grand dam des Catalans qui entendent protester dans la rue et les urnes. Un mandat d'arrêt européen devait être émis hier contre le président déchu de l'exécutif catalan par la juge madrilène chargée d'instruire le procès des dirigeants destitués. Cela intervient une semaine après la proclamation de la «République de Catalogne», restée sans effet et aussitôt suivie d'une mise sous tutelle de la région par Madrid. Avec 13 membres de son exécutif et six membres du bureau du Parlement régional, Carles Puigdemont était appelé à comparaître jeudi devant une juge d'instruction à Madrid, mais il est resté à Bruxelles où il se trouve depuis le début de semaine avec apparemment quatre de ses «ministres» pour, dit-il, alerter l'Europe sur «la répression» en Catalogne. En revanche, le vice-président Oriol Junqueras et sept autres membres du gouvernement destitué ont comparu et ont été inculpés de sédition et de rébellion puis écroués à l'issue de leur audition. L'incarcération des «ministres» a suscité la colère des indépendantistes qui font valoir le caractère «pacifique» de leur mobilisation depuis des années et du référendum d'autodétermination interdit du 1er octobre. Jeudi soir, 20.000 personnes selon la police municipale s'étaient rassemblées devant le Parlement catalan à Barcelone pour exiger «la libération des prisonniers politiques». Et hier matin, des manifestants ont bloqué des routes en Catalogne et occupé des voies dans une gare de Barcelone, provoquant des retards de trains. La juge de l'Audience nationale a justifié par un risque de fuite sa décision d'incarcérer les responsables indépendantistes. Le parquet général accuse les dirigeants catalans d'avoir encouragé «un mouvement d'insurrection active» pour atteindre leur objectif sécessionniste. Seul un «ministre» régional - qui avait démissionné avant la proclamation de la «République» et a été le seul à répondre aux questions de la magistrate - a été libéré hier contre le versement d'une caution de 50.000 euros. Droit dans ses bottes, M.Puigdemont se défend de se soustraire à la justice et se dit disposé à répondre à la magistrate depuis Bruxelles, tout en «exigeant» la libération de ses ministres, «prisonniers politiques». Il a estimé que la décision de la justice n'était «plus une affaire interne espagnole» et que la communauté internationale devait «se rendre compte du danger» qu'elle constituait. «C'est un dossier entièrement pour les autorités judiciaires, dont nous respectons complètement l'indépendance», a estimé hier sans plus d'explications une porte-parole de la Commission européenne. Dans une interview publiée hier par le quotidien français Le Figaro, le ministre espagnol des Affaires étrangères estime que «Puigdemont veut internationaliser la crise». «Le choix de la Belgique n'est pas anodin. Les indépendantistes flamands montrent de la sympathie à l'égard de la Catalogne et le gouvernement belge semble également enclin à une certaine compréhension», affirme encore Alfonso Dastis. A moins de deux mois des élections régionales convoquées pour le 21 décembre par le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, la tournure judiciaire que prend le bras de fer entre Madrid et Barcelone pourrait profiter aux formations séparatistes parties en pré-campagne. Le grand journal catalan La Vanguardia s'est alarmé des conséquences de l'incarcération des «ministres» destitués, «le pire scénario» imaginable, pour la paix civile dans la région de 7,5 millions d'habitants. «Nous sommes de nouveau au bord de l'abîme» avec un risque réel que les juges madrilènes «contribuent à faire grossir les rangs des franges les plus radicales» de l'indépendantisme, selon le journal. Un responsable du parti indépendantiste et anticapitaliste CUP, Carles Riera, a appelé à répondre aux juges madrilènes par «une grève générale et une mobilisation massive», même si ses derniers appels en ce sens n'avaient pas été suivis. «Nous avons des prisonniers politiques: ça envenime les choses mais cela va aussi ouvrir les yeux de beaucoup, en Europe comme en Catalogne», protestait un électeur «indépendantiste de toujours», Josep Manel Boix, âgé de 63 ans.