Dans cet entretien, il nous livre un diagnostic sans ambages sur la filière lait algérienne. Dans son analyse, notre interlocuteur va jusqu'au fond des problèmes. L'Expression: En tant que chercheur et spécialiste des affaires agricoles, pouvez-vous nous donner un aperçu sur la filière lait en particulier? Akli Moussouni: La vache algérienne, certes, de race performante importée, enregistre un rendement de 4000 litres par année (selon notre étude). Soit une production quotidienne de 11 litres, une des plus faibles rentabilités au monde, dont la moyenne (sans l'Afrique) a atteint 8000 litres. En conséquence, au lieu que ce secteur produise de l'emploi et de la richesse, il a non seulement appauvri sa profession, pis encore, il est devenu à la longue un secteur budgétivore pour le Trésor public, aussi bien en monnaie locale par rapport à un subventionnement du lait en sachet de l'ordre de 46 milliards de dinars, tandis que la facture en devises avoisine le milliard et demi de dollars, faisant que l'Algérie, à elle seule, consomme 20% du lait en poudre mis sur le marché mondial. La crise oblige, la tendance à la réduction des quantités importées a engendré à présent, la triste ambiance des longues chaînes humaines en attente de se faire servir un sachet de lait, dont la fabrication ne répond en aucun cas aux normes universelles, au moment où la vache en elle-même tend à disparaître des zones rurales. A quoi est dû, selon vous, ce retard accumulé ou pour être plus clair quelles sont les contraintes techniques qui bloquent ces immenses efforts de l'Etat? Au soutien contre-productif de l'Etat au réaménagement des étables dont la configuration fermière archaïque est de permettre un système d'élevage performant, à laquelle s'ajoute le programme des dispositifs d'aide à l'emploi (Cnac ET Ansej) dont l'Etat en tant que seul investisseur, on voit clairement que l'assistanat est érigé en mécanisme d'investissement. Dans tous les cas, le retard technologique est flagrant en termes de conduite de cheptel auquel s'ajoute la sous-alimentation, du fait que le fourrage vert se raréfie, alors que le prix de l'aliment concentré, totalement importé, a flambé démesurément. En conséquence, cette filière ne peut évoluer dans un contexte où les possibilités de sa mutation ont été laminées. Pourtant, il y a de plus en plus une forte tendance à la consommation du lait par le consommateur algérien... Le lait est l'un des aliments de premier choix gastronomique pour le consommateur algérien. Il contient de nombreuses substances nutritives telles que des protéines pour favoriser la croissance, du calcium et du phosphore pour la formation du squelette, du lactose, source d'énergie, des matières grasses, réservoirs d'énergie et des vitamines indispensables. A la seule condition de respecter les normes de production et transformation. Toutefois, les habitudes de consommation des Algériens jeunes et adultes, sont difficiles à faire évoluer en l'absence d'une politique de nutrition. Cette fixation vient compliquer la situation projetée par les pouvoirs publics par rapport à des objectifs de consommation de plus en plus élevés, au moment où dans tous les pays développés, on tend à les réduire en diversifiant le menu de leurs citoyens. Il est vrai que cette consommation ne dépasse pas la moyenne mondiale, mais le hic c'est que nous consommons un lait (subventionné) dans sa simple forme liquide dont la qualité pose problème par rapport aux normes de fabrication rarement respectées. Au lieu d'engager une politique de développement moderniste des élevages à lait on a soutenu, le réaménagement d'une infrastructure inadaptée, excluant toute augmentation de production. Ce qui a accentué l'importation effrénée du lait en poudre. En conséquence, le consommateur est appelé honteusement à reproduire la chaîne et subir la vente concomitante qu'il croyait disparues à jamais. Quel est donc le rôle des fermes d'élevage algériennes et leur poids dans la production nationale de lait? Elles ne sont pas nombreuses ni de taille importante. Celles qui résistent ne dépassent généralement pas la centaine de vaches laitières, il s'agit plutôt d'unités zootechniques puisque leurs propriétaires gardent la descendance pour le renouvellement du cheptel. Mais dans ces fermes, les animaux souffrent le martyre dans une ambiance hors normes. En effet, c'est une configuration fermière archaïque à laquelle on ne peut adapter un système d'élevage performant de par sa configuration architecturale qui n'a pas évolué, incapable de promouvoir une conduite naturelle, calme et harmonieuse où les vaches sont en libre circulation. Le retard technologique est difficile à endiguer en l'absence d'organisation autour des productions pour mener à bien un programme de développement global de la filière. Avec une alimentation maigre, vu son prix, non équilibrée et très mal distribuée, une ambiance climatique et hygiénique à la limite du supportable, il n'est pas aisé d'envisager des perspectives meilleures dans un secteur biaisé et sans fondement. Justement, face à ce handicap bloquant, quelle serait l'importance des autres élevages laitiers, en l'occurrence l'ovin et le caprin? En l'absence de statistiques fiables, on ignore jusqu'à l'effectif des différentes catégories de cheptels. En ce qui concerne l'ovin, la brebis berbère des montagnes a carrément disparu. La race «El Hamra», conduite dans la steppe occidentale de Sidi Bel Abbès à Naâma, est aussi en voie de disparition, du fait de la réduction effrénée de son effectif de quelques milliers actuellement, alors qu'il frôlait les 3 millions de têtes durant les années 70. La brebis de Ouled Djellal, dernière à «maintenir le cap» tant bien que mal, fournissant l'essentiel (environ 80%) de la viande ovine, est elle aussi soumise à une régression irréversible du fait de l'avancée du désert sur la steppe, n'ayant jamais bénéficié d'une protection des parcours. L'introduction dans bien des cas des cultures céréalières bénéficiant de subventions a aggravé le contexte de cette zone. Un hectare de parcours de la steppe alimentait jadis quelques brebis; mais actuellement il faut plusieurs hectares pour nourrir un mouton. Quant au caprin, pourtant très adaptable a l'élevage familial, il n'a pas été développé, du fait qu'on ne dispose pas de race performante, et qu'on n'a pas renforcé avec des pédigrees étrangers pour avoir imposé curieusement à toute importation de chèvres européennes des conditions sanitaires exagérées (même pas en vigueur en Europe). Ce qui a bloqué toute reproduction de ce cheptel actuellement marginal. Pourtant, elles pourraient jouer un rôle important dans l'industrie nationale de transformation et l'autosuffisance du marché national en lait frais et dérivés? La vache algérienne très peu nombreuse produit à peine 4000 litres de lait par année, loin de la moyenne mondiale (hors Afrique) qui est de 8000 litres. Les besoins du marché national sont estimés à 3 milliards de litres, alors que la production nationale couvre à peine le quart. Il est difficile dans ce cas d'envisager la fabrication des dérivés, dont les producteurs actuels à partir de lait en poudre sont accusés de tous les maux pour cacher cette carence de production longtemps glorifiée à travers des statistiques erronées. Le lait d'une brebis est plus rentable en tant qu'aliment irremplaçable pour démarrer la croissance du jeune mouton. Il n'est pas du tout rentable, ni économiquement censé envisager la transformation du lait de la brebis, dans le cas de notre pays. Par contre, par rapport au caprin, il est possible de développer des petits cheptels de 50 à 100 chèvres performantes capables de produire entre 5 et 7 litres par jour à transformer en fromages traditionnels à destination de chaînes hôtelières dans le cadre du tourisme de masse. Dans ce contexte, par contre, les dérivés du lait de chèvre sont incontournables. Mais, aucun élevage ne peut remplacer la vache à lait pour produire industriellement aussi bien le lait que ses dérivés. L'erreur monumentale commise par les industriels algériens de yaourt est de s'être impliqués dans les dispositifs saugrenus du Pnda (Programme national de développement agricole), pour avoir fourni des vaches performantes à des éleveurs incapables de les rentabiliser. Une démarche dont les conséquences résultent du fait d'avoir mis sur le marché des produits à des prix exorbitants aux dépens de la bourse du consommateur lessivé par un pouvoir d'achat déjà affaibli par une facture alimentaire des ménages moyens dépassant la moitie des revenus. Selon vous, au vu de son relief montagneux, y a-t-il possibilité de développer en Kabylie des élevages à lait et une industrie de transformation y afférente? Le morcellement du patrimoine familial à travers le phénomène d'héritage, notamment dans les zones de montagne, n'autorise le développement d'aucune activité agricole. C'est le moment d'insuffler une prise de conscience de nos agriculteurs sur le développement des nouvelles techniques de conduite moderne des élevages en assemblant leurs cheptels dans des infrastructures communes et en s'organisant autour de cette éventualité. Donc, quelles solutions ou plutôt alternatives préconisez-vous? La recomposition totale de la filière lait algérienne. Il est vrai que le lait contient de nombreuses substances nutritives telles que des protéines pour favoriser la croissance, du calcium et du phosphore pour la formation du squelette, du lactose, source d'énergie, des matières grasses, réservoirs d'énergie et des vitamines indispensables; il est l'un des aliments de 1er choix gastronomique pour le consommateur algérien, mais il est consommé en liquide frais d'une manière exagérée alors que les normes de sa production dans nos laiteries sont loin d'être conformes. Aussi, la configuration des exploitations agricoles algériennes de par leur petitesse et leur caractère traditionnel ne peuvent assurer la demande du marché. C'est un contexte impossible à faire évoluer dans ces conditions. C'est, d'une part, la recomposition de cette filière, comme pour celle des céréales dont elle dépend. Le volet de l'alimentation doit être engagé sur la base d'une nouvelle politique de nutrition qui doit faire appel à son tour à une nouvelle politique agricole incitant à la mise en plan d'«agropoles» dotés de modules d'élevage de 100 à 1000 vaches et plus si possible, autonomes au plan de l'alimentation et conduit en gestion informatique du troupeau. D'autre part, les petits éleveurs doivent s'orienter pour l'engraissement à la faveur de la filière qui en dépend intimement. Le tout doit fonctionner autour d'objectifs économiques de sécurité alimentaire. Tout dispositif inopérant ou organisations politiciennes doivent être remplacés par des mécanismes professionnels impliquant des professionnels capables d'investir dans la conduite des élevages modernes sur la base de nouvelles en relation avec cette filière, pour l'élever au rang d'un tissu industriel, seul capable de changer la donne. C'est aussi une source de revenus appréciables et régulière pour les éleveurs, donc une source d'emploi. Parmi les éléments prépondérants dont dépend la bonne gestion de ces cheptels, il convient de citer les énergies renouvelables, la conception d'infrastructures non contraignantes à la mécanisation et l'introduction de nouvelles règlementations environnementales qui viendront transformer les contraintes écologiques découlant de l'industrialisation de cette filière en opportunités économiques, pour préparer la mise en place d'un tissu de production performant, pour ne pas recourir indéfiniment au Trésor public pour satisfaire le consommateur.