Le Premier ministre Ahmed Ouyahia lors de la commémoration du 60e anniversaire d'un épisode douloureux Il existe tellement d'atomes crochus entre l'Algérie et la Tunisie que ce tandem pourrait très bien être l'acte fondateur d'une UMA économique. L'Algérie et la Tunisie ont fait les choses en grand, ce jeudi dans le village tunisien de Sakiet Sidi Youcef. Le chef du gouvernement côté tunisien, le Premier ministre côté algérien, flanqués de trois ministres, ont procédé à la commémoration du 60e anniversaire d'un épisode douloureux, mais fondateur, de la fraternité algéro-tunisienne. Les deux délégations ont certes eu des mots pour l'évènement en lui-même, à savoir le bombardement de l'aviation française et ses 70 civiles tués, dont une douzaine d'élèves d'une école primaire, ainsi que les 148 blessés, dont certains ont gardé les séquelles de cette attaque meurtrière toute leur vie. Mais 60 ans après les faits, les deux nations donnent à cet épisode de la guerre d'indépendance une signification supplémentaire, plus actuelle. Les responsables des deux gouvernements entendent donner un souffle de développement à la région frontalière algéro-tunisienne. C'est dans cet ordre d'idées, que Ahmed Ouyahia a annoncé la mise en place d'un atelier dédié à la relance d'une zone économique que les populations des deux côtés de la frontière appellent de leur voeu. Pour le soixantième anniversaire, l'engagement des gouvernements algérien et tunisien donne l'impression d'être plus précis, ne serait-ce que parce que la conjoncture régionale les oblige à trouver des «filons» de croissance mutuelle dans l'accentuation de la coopération. Cette impression que «cette fois c'est peut-être la bonne», est illustrée par la ferme décision de desservir toute la région frontalière tunisienne par du gaz algérien. «Le gaz algérien pourrait alimenter quatre régions frontalières tunisiennes y compris Sakiet Sidi Youcef et cela pourrait avoir lieu vers fin 2018», a indiqué le Premier ministre, lors d'une conférence de presse animée avec son homologue tunisien. C'est là un signe d'une volonté politique de donner une profondeur stratégique aux relations algéro-tunisiennes. Pour l'heure, les échanges commerciaux n'ont pas encore atteint un niveau de visibilité à même d'être cité en exemple, mais le Premier ministre trouve que les «chantiers de coopération dans tous les domaines» ouverts par les deux pays, finiront par être «à la hauteur des aspirations des deux peuples». L'optimisme de Ahmed Ouyahia semble partagé par son homologue tunisien qui s'est mis sur la même longueur d'onde en soulignant que la commémoration du 60e anniversaire du bombardement de Sakiet Sidi Youcef était une occasion pour aborder des «questions importantes dont la coopération économique entre les deux pays». L'optimisme du chef du gouvernement tunisien s'arrête au voeu puisque dans la réalité de tous les jours, Youcef Chahed admet que le partenariat économique «n'a pas encore atteint le niveau de la coopération politique entre les deux pays». Sur le développement des zones frontalières entre les deux pays, Youcef Chahed avoue indirectement que les gouvernements ne sont pas véritablement dans l'action, puisque dans ce domaine les choses en sont encore à l'état d'une réflexion «pour mettre sur pied des comités qui se réunissent dans les wilayas frontalières renfermant des potentialités dans divers domaines dont l'agriculture et le tourisme». Il reste que dans ces rapports que l'on voudrait denses entre les deux Etats, les aspects sécuritaires sont très bien pris en charge, arguant les discussions, en marge de la cérémonie de commémoration, entre les ministres tunisien de la Défense et de l'Intérieur et leur homologue algérien de l'Intérieur qui ont porté sur la coordination sécuritaire dans la lutte contre le terrorisme. M.Chahed a également considéré qu'il fallait «promouvoir les relations entre les deux pays et penser à créer des zones de libre-échange». Une demande déjà exprimée par Tunis, sans que cela n'aboutisse en raison des réticences d'Alger, soucieux de protéger une production nationale, à l'époque assez fragile. Aujourd'hui et avec le développement d'une branche de l'économie nationale axée sur l'assemblage de produits électroniques, électroménagers et mécaniques, l'option d'une zone franche pourrait être plus sérieusement envisagée, en raison de la complémentarité des deux économies, celle de la Tunisie travaillant sur la sous-traitance. Mais on ne sait pas ce que réservera le gouvernement algérien à la énième requête tunisienne en rapport avec cette zone franche, en ces temps de «repli stratégique» de l'Algérie sur son commerce extérieur. Il faut savoir, cependant, qu'autant la Tunisie est la profondeur sécuritaire de l'Algérie, elle est également son plus fidèle allié. Les deux pays gagneraient à coopérer étroitement au plan économique, sachant qu'au niveau populaire, le courant passe très bien. En réalité, il existe tellement d'atomes crochus entre l'Algérie et la Tunisie que ce tandem pourrait très bien être l'acte fondateur d'une UMA économique que tous les peuples de la région appellent de leurs voeux.