Naviguant entre «rokia», amulettes et rite sacrificiel, la famille du malade mental cherche désespérément la guérison. Le nombre de déficients mentaux dans les communes de Médéa augmente au fil des années. En fait, depuis ces dix dernières années, personne n'est à l'abri de cette maladie tant il est vrai que le contexte dans lequel évolue le citoyen engendre la notion d'inadaptation ou de désordre. Pour les familles interrogées, «il y a eu plusieurs consultations chez le psychiatre, en vain». Même s'il n'est pas dans nos propos d'animer le débat sur les fondements de la prise en charge classique: barbituriques, rechute, il faut dire que les familles ont de plus en plus recours aux thérapies traditionnelles. C'est un taleb, le «chasseur» de djinns, qui est sollicité pour générer un mieux-être aux malades: psychotiques, névrosés et gravement perturbés. Certains guérisseurs installés un peu partout à travers la région de Médéa se sont bâtis une grande réputation dans ce mystérieux univers de djinns «possesseurs» de différentes «nationalités». «Hormis les maladies physiques, le médecin ne peut rien contre la folie», disent beaucoup de personnes qui ont épuisé temps et argent auprès des psychiatres. De l'avis d'un psychiatre rencontré à Médéa, «le taleb a l'avantage de connaître le discours populaire et de comprendre la symbolique qu'il véhicule, surtout lorsqu'il s'agit de dépression nerveuse. Cette efficacité, poursuit-il, puise sa force dans le fait que le taleb donne un sens à l'inquiétude du malade en le déculpabilisant par le djins qui le possède. Le psychiatre, lui, implique le malade». La thérapie traditionnelle met le taleb en contact avec le djinn qui «négocie» le prix pour quitter le corps, généralement un coq, une brebis, et même un boeuf que ramène la famille du malade. Parfois les méthodes sont inhumaines: certains «possédés» sont battus à l'aide d'un bâton, d'autres sont cautérisés avec un tisonnier chauffé à blanc. Il y a même des femmes spécialisées dans la guérison du «vaginisme» ou «r'bit» produit par un procédé de magie, consistant à jeter un sort sur un homme qui devient totalement ou partiellement impuissant, et, par ricochet, préserver la virginité d'une femme, nous explique notre interlocutrice à laquelle on fait appel dans ces cas-là. Le «r'bit» est parfois réalisé dès l'enfance et délié des années plus tard, avant le mariage. Nous y reviendrons prochainement dans une enquête menée à travers quatre communes.