Un commando pour aller au charbon Autant que Bedoui et Lamamra, les ministres du nouveau gouvernement évolueront dans un contexte tellement hostile, qu'il faille, après la fin de cette difficile étape, les décorer de la médaille du courage. Annoncé pour le courant de la prochaine semaine, le nouveau gouvernement de Nouredine Bedoui sera, de loin, le plus décrié depuis l'indépendance du pays. Il faut bien se rendre à l'évidence que les instants inédits que vit le pays se traduisent principalement par une rupture de tous les liens entre les Algériens et leur gouvernement. Sitôt nommé par le président de la République, le nouveau Premier ministre a vu pleuvoir sur lui, une «averse» de critiques, non seulement d'opposants politiques, mais aussi d'une grande partie de l'opinion nationale. Tout comme le refus du report du mandat, Bedoui a eu sa part de «volée de bois vert» lors des immenses marches populaires de vendredi dernier. La veille de la grande démonstration populaire, il avait affirmé que l'Exécutif serait entièrement rénové avec la dose de jeunesse que recommanderait la situation que traverse le pays. Cette équipe devrait être opérationnelle dans les tout prochains jours. Les cadres qui auront la charge des départements de l'ensemble des secteurs d'activité n'auront pas la mission facile. Autant que Bedoui et Lamamra, ils évolueront dans un contexte tellement hostile, qu'il faille, après la fin de cette difficile étape, les décorer de la médaille du courage. Il faut bien reconnaître au tandem installé par le chef de l'Etat, une sacrée dose de patriotisme pour accepter une telle charge dans les circonstances qui sont celles de l'Algérie présentement. Le nouveau gouvernement aura forcément une durée limitée. Quelques mois tout au plus. Il conduira les affaires de l'Etat dans une ambiance de perte totale de confiance et surtout d'un climat de défiance à l'endroit des représentants du pouvoir qui s'exprimera forcément sur le terrain, devant l'un ou l'autre ministre. C'est dire le caractère exceptionnel de cette mission casse-cou. Il faut dire que jamais dans l'histoire du pays une équipe gouvernementale n'a débuté son travail dans des conditions aussi compliquées. De mémoire d'Algérien, aucun gouvernement n'a été rejeté par la société avant même son entrée en fonction. Ce sera le cas pour les femmes et les hommes qui composeront celui de Nouredine Bedoui. Même pressenti depuis plusieurs mois au poste de Premier ministre, il était lui-même loin de penser à cette tournure des événements. Mais le fait qu'il ne se soit pas dérobé, renseigne, tout au moins, sur son sens des responsabilités et son engagement d'homme d'Etat. Il y a fort à parier que beaucoup de ministres de l'Exécutif sortant ont eu un «ouf» de soulagement en apprenant la dissolution du gouvernement Ouyahia. Mais quoi qu'on en dise, la stature d'homme d'Etat ne règle pas tous les problèmes. A supposer qu'elle permet à l'Etat d'exister à travers son gouvernement, faut-il encore trouver les bons profils parmi les compétences nationales. Au vu de la tournure que prend la situation, il y a fort à parier que beaucoup de «compétences» ne se verraient pas ministres dans un système finissant. D'où la difficulté, pour Bedoui, de s'entourer de cadres ayant la double qualité de la compétence et du patriotisme à tout épreuve. Car, il n'est pas dit que cette équipe puisse travailler à l'aise, bien au contraire. En attendant une nécessaire mise à l'épreuve du nouveau gouvernement, les pouvoirs publics en sont à souhaiter une réaction moins radical du citoyen vis-à-vis des ministres qui ne peuvent faire autrement que d'aller à son contact. Le savoir communiquer est justement tout l'art que devront déployer les ministres de Bedoui. Ce pourrait être une expérience exaltante pour de jeunes cadres ambitieux (dans le bon sens), comme il y a le risque de se retrouver avec des cadres plus opportunistes que positivement ambitieux. Le Premier ministère sera comptable devant la société de la qualité des ministres qui composeront son équipe gouvernementale, c'est d'ailleurs cela la nouveauté pour un Bedoui qui s'est préparé à la fonction, dans les conditions hiérarchiques normales. Or, cette fois, il ne sera pas sanctionné par le président de la République, mais par le peuple. C'est bien la première fois qu'un Premier ministre algérien se retrouve dans pareille posture. Il faut espérer qu'il soit le premier d'une longue liste de chefs de gouvernements qui se soucient plus de l'opinion publique que du président de la République. Enfin, Bedoui va au charbon. Et s'il arrive à convaincre, il entrera dans l'Histoire.