«La transition se fera, certes, avec une institution militaire favorable aux exigences du peuple qui lui demande non pas d'intervenir en tant qu'acteur politique, mais comme garant qu'aucune force de quelque nature que ce soit n'intervienne pour arrêter le processus de démocratisation de la vie publique.» Ce qui semble être une position et une conduite exemplaires de l'ANP vis-à-vis des grandes manifestations contre le système de ces dernières semaines à travers toute l'Algérie, ne manque cependant pas de susciter, même chez les plus avisés, nombre de questionnements. Que se passe-il réellement en Algérie? Voilà un président de la République qui annonce d'abord sa candidature à un 5e mandat puis qui la retire sous la pression de la rue, ensuite, visiblement refusant de lâcher le morceau, improvise le lancement d'une feuille de route en guise de processus préalable à l'avènement de la République II.Mais ce qui va le plus persuader les manifestants du fait que pour le système la probabilité de garder le pouvoir n'est pas nulle, sera la déclaration de l'homme fort et du système et de l'armée préconisant, entre autres insinuations de continuité, l'activation de l'article 102 de la Constitution.Cette sortie aux allures autoritaires implique de se poser l'incontournable question: qui tient réellement les commandes au sommet de l'Etat? En réaction à cette déclaration, en filigrane des manifestations de ce vendredi 29 mars, le mot d'ordre général a été catégorique: «Le départ de Bouteflika, avec lui Gaïd Salah et Bensalah.» Mais l'armée n'a pas pour autant perdu la confiance du peuple. Ce dernier dit au système «dégage» et l'armée a fini par reconnaître que Bouteflika est inapte à gouverner dès le 4e mandat, tandis que le porte-parole du RND ira jusqu'à déclarer publiquement que cette incapacité remonte à plus de six ans, tout comme le pensaient certains partis de l'opposition et la majorité du peuple. Cependant, il ne faut pas se voiler la face quant au rôle du militaire dans le système politique algérie. ce qu'explique d'ailleurs Madjid Bencheikh, juriste de renom international. Il fait remarquer que «le système politique algérien est militarisé parce qu'il est sous l'emprise du Commandement militaire». Il affirme que la pièce maîtresse du système politique est le président de la République, or, explique-t-il, «cette pièce est toujours choisie par le Commandement militaire. Les chefs de l'administration du pays sont également choisis après un feu vert de la police politique». Elle dispose d'un outil d'information et de pression qui, jusqu'à présent, tente de lui être utile: le DRS. L'homme de loi explique: «J'ai qualifié les services de renseignement d'oeil et d'aiguillon du système politique.» «Ce sont l'oeil parce qu'ils surveillent et informent. Ils sont l'aiguillon parce qu'ils suggèrent, initient et indiquent les directions que le système doit prendre.» Le Conseil constitutionnel, qui a validé la candidature de Bouteflika en 2014, validera-t-il, contre toute logique, l'activation de l'article 102? Bouchachi et le «Hirak» «L'application de l'article 102 est dépassée de six ans. L'armée devait actionner l'article 102, il y a 3 ans», répond Mustapha Bouchachi ajoutant que «cet article prévoit d'organiser des élections présidentielles avec les anciens mécanismes habituels et donner les résultats habituels connus par le passé». Très impliqué dans le «Hirak», Bouchachi rappelle que «l'opposition ne demande pas l'application de l'article 102, l'opposition, dans le sillage du peuple, demande le départ du système une étape de transition». De son côté, Youcef Immoune, analyste du discours, explique que «l'intervention du chef des armées, par sa non-appropriation avec les données de la situation actuelle et celles relatives aux revendications du mouvement populaire qui a déjà empêché la formation d'un gouvernement et d'une Conférence nationale, ne reflète en rien un acte de communication que l'on peut attribuer à l'institution militaire». la révolution paisible Pour cet analyste, il s'agirait plutôt d'une intervention personnelle du chef des armées du fait que l'activation de l'article 102 dans les conditions défavorables de l'actuelle Constitution reste favorable au système, on peut dire donc qu'il vient, lui, à titre personnel, de se révéler comme l'homme fort du système. «Sa stratégie communicationnelle s'avère très mauvaise, notamment avec l'épisode du 'rapt'' de Ali Fodil, directeur du groupe Echourouk qui, à peine «relâché», débite devant la caméra tout un discours propagandiste préconstruit en faveur du chef des armées, toujours cité par son nom, ce qui renforce l'idée qu'il agit en tant que chef du système.» La transition se fera, certes, avec une institution militaire favorable aux exigences du peuple qui lui demande non pas d'intervenir en tant qu'acteur politique, mais comme «garant qu'aucune force de quelque nature que ce soit n'intervienne pour arrêter le processus de démocratisation de la vie publique». Le peuple, dans sa révolution paisible, se lance dans des débats et des discussions pour maintenir la mobilisation en vue de l'objectif de désigner dans les quartiers, les villages, les universités, les usines ou les administrations, les personnes qui doivent transmettre, autant verticalement qu'horizontalement, les instructions pour orienter les actions. Naturellement, cette fièvre révolutionnaire doit avoir une structuration à travers des coordinations régionales et nationales.Décortiquant les changements et les repositionnements que connaît l'armée algérienne, Radidja Nemar, spécialiste de l'histoire militaire dans le Monde arabe relève qu'en Algérie «le rôle de l'armée n'est plus de gouverner depuis la fin de la guerre civile et la normalisation de l'exercice du pouvoir, ainsi que le rééquilibrage des relations civilo-militaires». En revanche, rien ne nous permet d'avancer avec certitude que «l'armée cessera de réguler en amont la vie politique du pays, en utilisant la démocratie de façade qu'elle a historiquement créée», s'interroge-t-elle avant d'ajouter que «même si les dernières évolutions mettent en exergue une plus grande neutralité de l'armée, le rôle du militaire en Algérie se nourrit de la dichotomie entre pouvoir réel et pouvoir formel, ce qui empêche d'avoir une visibilité réelle sur les évolutions institutionnelles et politiques». «La logique de protection des intérêts de l'armée algérienne portée par l'élite du pays fait de la situation actuelle une situation fragile».L'institution militaire, détentrice du pouvoir réel dans notre pays, se conduirait-elle en partenaire important des différents acteurs en lice, en s'associant à l'ensemble des étapes du processus et se portera-t-elle réellement garante du respect des engagements pris officiellement, chacun selon sa feuille de route, pour prendre en charge la période de transition qui s'annonce houleuse?