Feu Houari Boumediène était fait d'un seul bloc. Il croyait à ce qu'il faisait et le faisait avec beaucoup de détermination. Il tenait à édifier un Etat moderne avec une économie forte basée sur une agriculture prospère, tout en garantissant la justice sociale. Voilà si on peut schématiser l'intervention de l'ancien chef de gouvernement Smaïl Hamdani au Forum d'El Moudjahid. Il l'a côtoyé pendant onze ans et connaît sa stratégie. D'où l'importance de son témoignage. Depuis la nuit du 19 juin, Boumediène s'est attelé à bâtir un Etat-Nation. Ses réalisations devaient répondre à trois préoccupations: une «industrie industrialisante», un équilibre régional et un barrage vert en traçant un programme constitué du trinôme: révolutions agraire, industrielle et culturelle. Tout cela s'est fait en trois programmes quinquennaux, dont le dernier n'a pas été achevé en raison de son décès prématuré. En somme, la révolution industrielle se réduisait aux nationalisations qui ont fait notre fierté nationale en ce temps-là et la sidérurgie d'El Hadjar. La révolution agraire se décuplait en 1000 villages agricoles avec 1000 mosquées, mais le bilan n'a pas encore été fait puisque l'option a été abandonnée par son successeur. La révolution culturelle permettrait l'école pour tous. Ce fut peut-être la grande réalisation de l'Algérie indépendante que personne ne peut aujourd'hui contester. Boumediène voulait surtout bâtir un Etat fort avec des prolongements sur la scène internationale. Il a installé les APC en 1967, les APW en 1969, le Cnes la même année et, bien sûr, le fameux débat sur la Charte nationale en 1976 et enfin l'Assemblée élue en 1977. Selon Hadmani, Boumediène avait des penchants démocratiques mais il procédait par étape. Cette démocratie s'est matérialisée lors du grand débat sur la charte. Sur le chapitre diplomatique, il avait réussi le pari des Non-alignés en 1973 en regroupant les chefs d'Etat des trois continents à Alger et à monter à la tribune de l'ONU pour poser le problème des matières premières. Il a également été le médiateur entre le Shah d'Iran et le vice-président irakien. Hamdani a servi d'interprète entre les deux hommes. Il révèle que Boumediène n'intervenait que pour situer les points d'entente afin de les rapprocher. Et il a réussi au bout de deux nuits de débats tendus entre les deux hommes. Le prix du baril variait entre 12 et 13 dollars. Boumediène empruntait pour investir mais jamais pour « bouffer », indique Hamdani. Il avait laissé une dette de l'ordre de 14 milliards de dinars. Mais le baril est monté jusqu'à plus de 40 dollars et la dette extérieure a accru de manière considérable sous le slogan «pour une vie meilleure». Mais il s'agit là d'une autre époque.