«Nous sommes tous capables de croire des choses que nous savons être fausses et ensuite, lorsque nous devons finalement admettre notre erreur, déformer impudemment les faits pour montrer que nous avions raison.»George Orwell Le monde est devenu plus que jamais incertain depuis la chute de l'empire soviétique et l'avènement d'un ordre nouveau tant martelé par George Bush père, suite à sa promenade victorieuse jusqu'aux portes de Baghdad au printemps 1991. Promenade qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d'Irakiens. Un ordre que l'on croyait être rédempteur, juste. Or que se passe-t-il après? Ce fut le chaos. Les huit années de Bill Clinton ont été une continuation de la politique américaine reaganienne. Souvenons-nous des centaines de milliers d'enfants morts de malnutrition, suite au blocus. Ce fut, d'après Madeleine Albright, pas cher payé pour faire partir le dictateur Saddam Hussein que George Bush, père, n'avait pas voulu déloger à l'époque. Ce fut un autre Bush qui acheva le travail dans le cadre d'une autre histoire survenue un certain 11 septembre 1991... Au contraire, nous assistons à des renversements d'alliance continuels. Ainsi, dans les années 60 et 70, le shah d'Iran était l'ami du monde occidental, surtout après le renversement de Mossadegh par la CIA, il était coupable d'avoir tenté de troubler l'ordre établi par les multinationales du pétrole les «sette sorele» «les sept soeurs», comme les avaient surnommés Enrico Mattei, le créateur de la société ENI italienne. Le shah démarre un programme nucléaire aidé par, pratiquement, tous les pays occidentaux et notamment les Etats-Unis. Premier renversement d'alliance, le shah est lâché par les Américains. L'ayatollah Khomeyni s'installe en février 1979 à Téhéran. La crise des otages américains dénouée, il faut le signaler, par la diplomatie algérienne à son zénith, fait que l'Iran sera le premier «rogue state», Etat voyou. Pour contrebalancer l'influence iranienne et la révolution islamiste, on surarme l'Irak de Saddam Hussein avec les dollars des pays du Golfe, notamment du Koweït, pour contenir la Révolution iranienne. Cela n'empêche pas les Américains d'armer l'autre camp, les Israéliens fourniront les armes, ce fut le fameux «Irangate». Le conflit dura huit ans, il y eut deux vaincus (l'Irak et l'Iran avec des centaines de milliers de morts, des infrastructures détruites et un recul économique important), et un vainqueur Israël, qui s'est même permis de bombarder le réacteur Osirak, ses avions ayant été ravitaillés en vol sur le retour. Naturellement, il n'y eut aucune réaction ni sanction contre ce «casus belli» avéré. Amis d'hier A la même période, l'Union soviétique commit une erreur en envahissant l'Afghanistan en tentant de porter secours au régime communiste de Nadjibullah qui avait détrôner le roi. Ce fut pour l'Urss, l'équivalent du Vietnam pour les Américains. Cette erreur fut tout bénéfice pour les Etats-Unis qui armèrent les «moudjahidine» en leur fournissant les fameux missiles Stinger que les moudjahidine utilisèrent ensuite contre les Américains. Parmi eux, un milliardaire saoudien que rien ne prédestinait à prendre les armes: Oussama Ben Laden. Pendant la décennie 80 ce fut la lune de miel entre les moudjahidine, l'Afghanistan se libéra, Gorbatchev ayant compris que c'était sans issue. Ce fut ensuite l'avènement des talibans qui prirent le pouvoir en Afghanistan avec l'aide américaine. La décennie 90 permit aux talibans de s'installer, l'Occident regardait ailleurs quand un certain commandant Massoud tentait à sa façon de lutter contre les talibans. Ceux-ci avaient permis le passage du territoire par les pipes des sociétés pétrolières américaines.(1). Changement de stratégie, on découvre que les talibans sont infréquentables, qu'ils lapident les femmes et qu'ils sont responsables de tous les maux de l'Occident. Même l'attentat de l'Oklahoma leur est attribué - on verra par la suite que c'est un Américain qui en sera responsable. Le 9 septembre 2001, le commandant Massoud est tué. Le 11, les tours du World Trade Center sont attaquées. On dénombre près de 3000 morts. Immédiatement l'ennemi est désigné: Oussama Ben Laden. Les amis d'hier deviennent les ennemis d'aujourd'hui. Oussama Ben Laden et les talibans qui le protègent sont dans la ligne de mire au même titre que Saddam Hussein. Ce dernier, toujours en poste, tient toujours malgré un embargo inhumain qui atteint surtout le peuple et les enfants. Même là, l'argent du lait—pétrole contre nourriture— fut en partie détourné par l'ONU à qui on attribua dans cette décade le prix Nobel, comme cela sera le cas pour un autre «ami» directeur de l'Aiea, chargé du sale boulot de désigner à la vindicte occidentale l'Iran coupable de faire comme Israël en tentant de se doter, à tort ou à raison, de l'arme nucléaire.(2). Après le nettoyage des montagnes de Bora-Bora en Afghanistan, dès novembre 2001, 10 fois on annonce la mort de Oussama Ben Laden qui est toujours là, malgré la fameuse phrase de George Bush demandant de lui amener «Ben Laden dead or alive; «mort ou vif» dans la plus pure tradition du western. Les talibans ont été éliminés en théorie, c'est à peine si de temps en temps les médias occidentaux se déjugent en parlant encore d'eux. C'est ainsi que l'on peut comprendre l'intervention du général Jones, commandant suprême des forces de l'Otan en Europe.«L'Otan doit résister à la pression des talibans en Afghanistan . Chaque fois que l'on se rapproche d'un événement important, ils trouvent un moyen d'envoyer un message.» «Tant qu'il y aura de l'indécision de notre côté, ils continueront», a-t-il poursuivi, en faisant allusion aux incertitudes sur la composition des renforts nécessaires au déploiement dans le Sud. L'Otan a prévu des renforts britanniques, néerlandais et canadiens pour porter, cette année, les effectifs de l'Isaf de 9000 à 15.000 hommes. Le général Jones a reconnu les dangers inhérents à la mission et les risques d'aggravation des violences. Il nous faut surveiller une possible collusion des différentes factions, des talibans et des rescapés d'Al Qaîda, avec les criminels, a dit le chef du Saceur, en évoquant les chefs de guerre afghans et ceux qui contrôlent le lucratif trafic de drogue. Un ancien allié, le Pakistan, dans la lutte contre Ben Laden, risque de connaître la disgrâce. En effet, les 8 et 13 janvier 2006, les Etats-Unis ont bombardé leur allié pakistanais, sous prétexte de vouloir éliminer le «numéro 2 d'Al Qaîda», Al Zawahiri. Depuis, d'importantes manifestations ont secoué le Pakistan pour dénoncer ces agissements. Des milliers d'islamistes pakistanais manifestent pour protester contre le raid américain au Pakistan, vendredi 20 janvier 2006. Pour l'histoire, le général Pervez Musharraf fit un coup d'Etat, le 12 octobre 1999, et s'empara du pouvoir. À l'époque, le président Clinton avait mollement condamné le coup d'Etat, au nom de la démocratie. Le général Musharraf resta quelques mois au ban de la communauté internationale, jusqu'en août 2001, à la rupture des négociations entre les Etats-Unis et les talibans à propos de la construction du pipe-line devant relier la Caspienne à l'océan Indien. Il offrit alors l'aide de ses services secrets, l'ISI, pour renverser les talibans qu'ils avaient eux-mêmes encadrés et installés à la tête d'un émirat autoproclamé. Survinrent les attentats du 11 septembre. Pervez Musharraf devient le pilier de la guerre au terrorisme. En 2001, les forces armées US ont utilisé des bases militaires sur le territoire pakistanais pour assister les barons de la drogue contre le pseudo-émirat des talibans et installer au pouvoir à Kaboul un citoyen états-unien, Hamid Karzaï, qui deviendra président de l'Afghanistan. Suite au tremblement de terre qui a ravagé le Pakistan, et à la faveur d'une assistance humanitaire aussi médiatisée que parcimonieuse, le 8 octobre 2005, les forces US ont investi le Cachemire et la province de la frontière nord-ouest. Elles ont été appuyées par l'Otan qui a mobilisé son unité E-3. En réalité, celle-ci comprend 3 Boeing 707 transformés en cargos et utilisés pour le transport d'aide humanitaire, mais surtout 17 avions de surveillance Awacs destinés à superviser la répression au Balouchistan.(3). Les négociations entre la troïka européenne (Royaume-Uni, France et Allemagne) et la République islamique d'Iran sur le dossier nucléaire iranien semblent définitivement rompues. Les exigences européennes, dénoncées par Mohammed El Baradei, le président de l'Agence internationale de l'énergie atomique et prix Nobel de la Paix, outrepassent le Traité de non-prolifération.(4). On sait comment la démocratie aéroportée s'est installée en Irak faisant que ce pays s'enfonce inexorablement dans la partition. 2200 GI's morts pour plus de dizaines de milliers d'Irakiens sacrifiés. En définitive, pourquoi? La région du Proche-Orient est plus déstabilisée que jamais. Partout on rencontre le désarroi et l'incompréhension des masses arabes et musulmanes. Naturellement, l'allégeance des dirigeants arabes leur permet de durer le temps d'une lune de miel avec l'Occident. La prophétie de Hintington, qui, en fait, est un scénario élaboré et présenté comme une étude objective, est en train de fait de se réaliser. Reste l'Iran, une autre configuration, avec un président pur et dur, un pays de 70 millions d'habitants, une vieille civilisation qui remonte à Darius. Il est accusé de vouloir se doter de la bombe. On lui rétorque en Occident que son cas est différent de celui d'Israël qui, lui, n'a pas signé le traité de non-prolifération qui prône l'interdiction de développer des armes nucléaires, exception faite pour les intouchables— les cinq membres du Conseil de sécurité— et ceux qui ne l'ont pas signé tels que l'Inde et le Pakistan et naturellement Israël, et même... un pays qui a signé: la Corée du Nord, qui annonce détenir la bombe, mais qui est «protégée» par la Chine. Par qui est protégé l'Iran, par le monde musulman? il est plus divisé que jamais. Par le monde arabe? Nous connaissons les rivalités millénaires entre les Perses et les Arabes que seul l'islam a réussi à fédérer pour le plus grand bien de la science. Ibn Sina, Ar Razi et bien d'autres... D'ailleurs les monarchies du Golfe, craignant les représailles, ont condamné la politique iranienne. La décision de l'Iran de rouvrir son centre d'enrichissement d'uranium de Natanz, le 11 janvier, a fait redoubler les attaques médiatiques contre Téhéran. On assiste désormais dans la presse occidentale à une campagne de propagande contre l'Iran très comparable à ce à quoi nous avions assisté avant la guerre contre l'Irak. Ainsi, le fait que la République islamique cherche à acquérir des armes nucléaires est présenté comme une évidence malgré l'interdiction prononcée par le Guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, de s'en doter. L'Iran est accusé de soutenir le terrorisme et de chercher à acquérir des armes de destruction massive. La menace d'un terrorisme nucléaire contre « l'Occident » est régulièrement évoquée ou sous-entendue. Le président de la République française s'est même déclaré prêt à employer l'arme nucléaire contre des Etats qui auraient recours au terrorisme. Implicitement visés: l'Iran et la Corée du Nord. Le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, a cependant reconnu que l'Iran était «une inquiétude majeure» pour la France, car cet Etat «affiche des intentions extrêmement belliqueuses».(5). Préparation psychologique En France, le quotidien conservateur le Figaro, propriété de l'avionneur Dassault, se livre depuis quelques semaines à un intense travail de préparation psychologique de son lectorat contre la République islamique. Ecoutons ce qu'écrit Patrick Lellouche dont l'animosité contre l'islam n'a d'égal que son amour pour Israël : « A l'aube de la sixième année du nouveau millénaire, Adolf Hitler est ressuscité, ou plus exactement, il s'est réincarné en Mahmoud Ahmadinejad, un individu petit et chétif comme lui dont le discours est dans la filiation idéologique de Mein Kampf. Mais la différence entre Hitler et Ahmadinejad est que le premier a échoué, là où le second est en train de réussir : accéder à la bombe atomique. L'Iran s'est depuis longtemps affranchi des règles du monde civilisé. Personne ne s'est élevé pour critiquer cet appel au génocide des Juifs. Cela induit une seconde question: si le monde arabo-musulman ne réagit pas, que fait l'Occident et surtout que fait l'Europe, qui a vu naître la folie hitlérienne et sa conclusion: la Shoah? Au train où vont les choses, l'Iran aura la bombe dans un ou deux ans et «Ahmadinejad pourra menacer Israël». Il pourrait aussi confier ces armes à ses alliés terroristes, comme le Hezbollah qui pourrait les amener au coeur de nos villes. Le pire serait alors à craindre».La diabolisation du régime iranien passe aussi par la dénonciation de son fanatisme religieux. Dans le New York Sun et le Jerusalem Post, le théoricien islamophobe et administrateur de l'US Institute of Peace, Daniel Pipes, tient pour acquis le fait que le président iranien et l'intégralité de la classe dirigeante iranienne envisagent que la fin des temps est pour bientôt. L'association entre l'islamisme et le nazisme est renforcée par l'emploi récurrent de néologismes tels qu' «islamofascisme» ou «fascislamisme» (néologisme forgé par l'idéologue français Bernard Henri Lévy).(4). La troïka européenne - France, Grande-Bretagne, Allemagne - prône le transfert du dossier iranien devant le Conseil de sécurité de l'ONU. L'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea) doit se prononcer le 2 février. La Russie et la Chine ne se sont pas explicitement prononcées contre la saisine du Conseil de sécurité. Pour les Américains, la démocratie en Irak ne serait souhaitable uniquement que si les chiites du pays renoncent à leurs liens naturels avec leurs voisins iraniens. De plus, on cherche à faire porter la responsabilité du chaos irakien sur Téhéran? En somme, il s'agirait de justifier une campagne contre l'Iran par l'échec de la précédente campagne contre l'Irak.(6). 1. C.E. Chitour: La politique et le nouvel ordre pétrolier international. Préface du Dr. N. Sarkis. Editions Dahlab. Alger.1996 2. C.E. Chitour: Pétrole sans nourriture: la responsabilité de l'ONU. Journal L'Expression août 2005 3.Incursion militaire: la vraie cible des bombardements US au Pakistan Réseauvoltaire.net. 16 janvier 2006 4.Iran : la diabolisation avant quoi? Reseauvoltaire.net. Tribunes et décryptages - 16 janvier 2006 5.Pauline Lecuit, avec Reuters : Chirac dégaine sa dissuasion nucléaire : Le 19 janvier 2006. 6.Nadège Belange, avec Reuters : L'Aiea tranchera mercredi 18 janvier 2006.