Le Sénégal, pays invité d'honneur à la 24ème édition du Salon international du livre a étrenné son premier rendez-vous littéraire, jeudi dernier, par une « escale littéraire à Dakar » et ce en invitant trois écrivains sénégalais. Une rencontre pour découvrir la littérature écrite de ce pays et ainsi dévoiler « Le rapport entre la littérature et la réalité » chez ces écrivains, thème choisi par Aïcha Kasoul, modératrice de la table ronde, qui est elle-même enseignante de littérature et écrivaine. D'emblée, nous ferons un distinguo entre les deux écrivains qui vont suivre car de deux générations différentes. L'une femme militante pour ses écrits et la littérature, le second, jeune téméraire, dénonce la montée du terrorisme en Afrique, inspirée d'une histoire vraie . La première à prendre la parole est Rahmatou Seck Samb, romancière et lauréate du Grand Prix du chef de l'Etat pour les lettres. De la folie pour écrire Elle est l'auteure de trois romans dont L'ombre d'une église rouge et Fergo tu traverseras ta route. Elle dira que : « Pour écrire il faut du don bien sûr, de la volonté et une dose de folie pour s'imaginer que tout ce qu'on peut inventer peut intéresser le monde. » Et de souligner : « J'ai commencé à écrire par devoir de mémoire. Je me suis dit que c'était une chance de parcourir le monde, étant femme de diplomate et qu'il fallait au bout de mes pérégrinations que je rende compte et que je dise aux gens qui n'ont pas eu cette chance ce que j'ai vu, les peuples que j'ai connus, les peuples que j'ai traversés. » Et d'estimer un peu loin : « Je suis citoyenne africaine du monde. J'ai aimé toutes ces cultures. C'est parce que j'ai accepté cette diversité que j'ai pu retransmettre aux lecteurs tous ces amours que j'ai eu à travers cette Afrique qui, à travers la diversité, unit dans sa chaleur, sa solidarité et esprit de famille. c'est ce que j'ai voulu retracer et rendre hommage aux gens qui sont partis plus tard... ». De son côté, Khalil Daillo est poète et romancier. Il a écrit un roman sur le djihadisme. Il raconte l'histoire d'un jeune homme qui se lance dans cette aventure guerrière. L'écrivain, cet être dérangé « C'est une interrogation que se pose le monde. Qu'est-ce qui reste à cette jeunesse qui se sent désespérée et perdue, sinon d'essayer de trouver un réconfort dans une aventure qui pourrait conduire à la mort. Là, aussi, le lien est patent entre la réalité et la littérature », dira Aïcha Kassoul qui fait savoir enfin que « tous ces écrivains parlent de la réalité du Sénégal, mais cela nous renvoie aussi à notre propre réalité. Et par-delà cette réalité, l'intérêt de la littérature ne peut que saisir cette humanité-là ». Pour le jeune écrivain l'acte d'écriture qu'il exerce « est beaucoup moins romantique », a-t-il avoué. Et d'estimer : « L'écrivain pour moi est quelqu'un de profondément dérangé. Il faut une certaine folie et même une dose d'autodestruction pour s'adonner à cet acte d'écriture. Parce que l'écriture c'est une forme de déchéance. Ce n'est pas quelque chose qui libère, au contraire, c'est quelque chose qui asservit. » Et de parler du contexte de création du livre A l'ombre du trépas : « C'est un roman qui parle de l'obscurantisme religieux, qui s'interroge et cherche à savoir pourquoi un jeune Sahélien du subsahara irait rejoindre les rangs de l'armée des ténèbres. Qu'est-ce qui pousse un enfant du Sénégal vers le terrorisme. » Et de souligner : « L'écriture permet en tant qu'espace de réflexion, de mieux voir le monde. » Dénoncer le terrorisme en Afrique Et de reconnaître : « De façon plus spécifique, cette œuvre est née d'un déchirement. C'est parce que nous ne sommes pas d'accord avec le monde tel qu'il est que nous essayons de créer un monde par l'écriture. Parce que le romancier c'est quelqu'un de profondément immodeste. Ce livre, je l'ai écrit donc pendant une période sombre où Bamako et la Côte d'Ivoire étaient victimes d'attentats terroristes où le Nord Mali était annexé. Je n'osais plus sortir et affronter le monde. Cette situation-là répondait à la définition du mot terrorisme. J'avais peur, j'étais terrorisé. Je leur donnais ce qu'ils voulaient. » et de confier : « Ce qui a provoqué cette révolte c'est que j'avais un ami étudiant de la Faculté de médecine. Un jour on s'est réveillé. On a ouvert facebook et on a découvert qu'il était en Syrie parmi les terroristes de l'Etat islamiste. Il s'est révélé qu'il était médecin islamiste. Il m'a profondément marqué car c'était un garçon brillant. N'importe qui peut être aujourd'hui terroriste.». Puis d'avouer : « L'idée que je voulais véhiculer était qu'une bonne raison de vivre est une bonne raison de mourir. Arriver à cette idée-là, comprendre que la lutte anti-terroriste ne devrait pas être armée, mais d'abord idéologique, religieuse et culturelle. Quelqu'un qui lit Assia Djebar, Mohamed Dib, Kateb Yacine pour parler d'écrivains algériens par exemple, n'ira pas se faire tuer, mais comprendra qu'il y a d'autres moyens de lutte. Je voulais utiliser ce que Kateb Yacine disait « la langue française est un butin de guerre, moi j'ai voulu essayer cette langue française pour aller me battre contre ces djihadistes ».