Rendez-vous avec le roman» est le nouvel espace littéraire ouvert à Alger. Il est animé, chaque samedi, par le romancier Samir Kacimi au palais de la Culture Moufdi Zakaria à Alger. Samir Kacimi est connu par des romans Yaoum r'ai lil mawt (Belle journée pour mourir), Fi ichki imraatin akir (De l'amour d'une femme stérile) et El Halem (Le rêveur). Samedi 6 février 2016, le premier débat s'est concentré autour du «roman algérien et le terrorisme» et de «la littérature de l'urgence». Le débat a été animé par le romancier Amine Zaoui, l'universitaire et auteur Mohamed Sari, et les journalistes et écrivains Hamid Abdelkader et H'mida Layachi. «En 1998, l'Union des écrivains algériens a voulu organiser une rencontre sur la littérature et le terrorisme. Il lui a été demandé de remplacer le terme ''terrorisme'' par ''violence''. Et, certains invités ont refusé d'y participer. Aujourd'hui, nous réhabilitons ce sujet et nous analysons la manière avec laquelle le roman algérien a traité de ce phénomène. S'est-il réellement attardé sur la raison principale du terrorisme qui est l'extrémisme religieux ? Les romans parus dans les années 1990 relèvent-ils de ce qui est appelé ''la littérature de l'urgence'' ? S'agissait-il d'une littérature de qualité ou d'une littérature du moment ?» s'est interrogé Samir Kacimi, connu pour être un véritable agitateur d'idées. La littérature de l'urgence est, selon Mohamed Sari, un module enseigné à l'université d'Alger. Il a cité quelques romans qui peuvent être classés dans cette catégorie : Peur et mensonges de Aïssa Kheladi (écrit sous le pseudonyme de Amine Touati), Le sermon des barbares de Boualem Sansal, Matahat (Labyrinthe) de H'Mida Layachi… «Certains pensent que ce genre de littérature est de moindre qualité. Ce n'est qu'une hypothèse. C'est un sujet qui mérite débat», a-t-il noté. H'mida Layachi a rappelé que son roman Matahat a été écrit au milieu d'une situation politique et sécuritaire inédite pour l'Algérie dans les années 1990 : montée d'un courant islamiste radical, action armée, guerre à huis clos, tribunaux militaires… «Une situation marquée également par l'assassinat d'intellectuels. Les salafistes radicaux algériens et étrangers revendiquaient leurs actions. Au même moment, des assassinats ont eu lieu dans des conditions troubles. D'où la question de ''Qui tue qui ?''. La guerre a pris plusieurs formes. Comment les écrivains et les créateurs devaient-ils réagir à cette situation ? A l'époque, les véritables producteurs d'idées étaient les journalistes à travers les couvertures et les prises de position. Toutes les autres formes d'écriture étaient absentes», a constaté H'mida Layachi qui, à l'époque, était partagé entre le roman et l'écriture pour le théâtre (la pièce Habil oua Habil, notamment). Selon lui, Matahat n'était pas un roman réaliste sur le terrorisme ou un texte de dénonciation. «J'habitais à Boufarik qui était un des fiefs du terrorisme. J'étais réellement ciblé, mais je voulais faire mon métier de journaliste en allant interviewer Madani Mezrag au maquis à la fin de 1994 sans aucune garantie. Ali Benali, un confrère, a été tué après avoir fait le même travail. J'évoque son cas dans Matahat. En écrivant, je voulais me débarrasser de ma peur. cela ne m'intéressait pas de décrire le terrorisme», a-t-il confié. Une autre question s'était posée à H'mida Layachi : comment fructifier l'instant de la crise et de la blessure ? «Il fallait dépasser le moment, car le terrorisme paralyse les forces. Donc, je me suis intéressé à l'esthétique de la blessure et de la mort dans la forme d'écriture de Matahat, un roman partagé entre le polar métaphysique et le travail documentaire en reprenant des extraits de journaux», a souligné l'écrivain. Dans son roman, H'mida Layachi s'est inspiré de la méthode de l'auteur américain John Dos Passos, celle dite du pessimisme social et de l'écriture imagée. Dos Passos a publié plusieurs romans qui, à chaque fois, ont suscité le débat et la controverse comme Les rues de la nuit, Bilan d'une nation et Milieu de siècle. Sur le plan du style, H'Mida Layachi a convoqué la langue post-moderne et la langue patrimoniale pour alimenter son récit. «En fait, je voulais piocher dans les couches mortes de la mémoire. J'ai fait un parallèle entre le vécu de l'instant (1990) et l'époque fatimide pour suggérer que la violence était ancrée dans nos traditions contrairement à ce qui était soutenu par le discours officiel de l'époque», a-t-il relevé. La guerre entre Fatimides et Rostémides avait fait beaucoup de victimes au Xe siècle. «Romans de faux barrages» Mohamed Sari a, pour sa part, rappelé le comportement de Mohamed Ibn Toumart qui, au XIe siècle, avait imposé des interdits religieux, fermé les lieux de fêtes et de jouissance, proscrit les chants... «Ibn Toumart s'était comporté comme les radicaux de l'ex-FIS», a-t-il souligné. Citant Nedjma de Kateb Yacine, H'mida Layachi a tenté de démanteler la théorie qui attribue le caractère de «mauvaise» ou de «faible» à la littérature écrite dans l'urgence ou dans le feu de l'action. Il a également cité le dramaturge anglais Shakespeare qui avait décrit dans ses pièces les mœurs de la royauté de l'époque. Selon lui, l'esthétique protège l'écrit littéraire de toute attaque. Amine Zaoui a qualifié les livres algériens sur l'époque du terrorisme de «romans de faux barrages». «A l'époque, beaucoup de journalistes, de retraités, de ceux qui n'avaient aucun rapport avec la littérature s'étaient mis à écrire des romans. C'était négatif et positif à la fois. Positif parce que nous avions besoin de témoignages. Malgré leur faiblesse esthétique, ces textes avaient donné une image proche de la réalité des violences que connaissait le pays», a-t-il expliqué. Il a regretté l'inexistence d'études sur les origines historiques de la violence liée à la religion musulmane. «Les conflits naissaient lorsque la religion se transformait en politique, en moyen de lutte pour le pouvoir. La faible culture des Algériens par rapport à l'islam explique leur étonnement lors de l'émergence du terrorisme. La culture du sang existe dans l'Histoire de l'islam. Et, je vous invite à relire Abderrahmane Mounif pour comprendre cette violence», a-t-il dit. H'mida Layachi a estimé qu'il faut décortiquer et analyser l'histoire musulmane pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui. «A chaque période de crise, les non-dits reviennent. On ne doit pas tourner la page mais essayer de bien comprendre comment la violence était née. Les groupes radicaux agissaient à partir de textes écrits», a-t-il fait remarquer. Citant Si diable veut de Mohamed Dib et Timimoun et La vie à l'endroit de Rachid Boudjedra, Amine Zaoui a relevé que certains romanciers avaient comparé les violences du terrorisme à celle du colonialisme français en Algérie. Il a qualifié l'approche de négative et de nocive pour le roman lui-même. D'après lui, la génération d'après Rachid Boudjedra et Mohamed Dib a, dans ses romans, fait un rapport entre la violence religieuse et le pouvoir politique. «Je cite l'exemple de La malédiction de Rachid Mimouni qui est son plus mauvais roman. Boualem Sansal a, lui, fait un lien entre la violence religieuse et le nazisme. Ce parallèle a valu à Sansal son audience actuelle», a-t-il noté. Il a relevé que la plupart des romans qui ont traité de la thématique du phénomène terroriste racontaient l'histoire d'un intellectuel. «Et cet intellectuel reflète, en fait, l'expérience personnelle de l'écrivain. Il y a un certain narcissisme puisque l'intellectuel est présenté comme le héros qui va sauver la société de la violence. Dans ce genre de roman, l'image des petites gens est absente. Le massacre des habitants d'une village entier, par exemple, n'apparaît que comme des clichés. Par contre, le Moi domine», a-t-il souligné.La thématique du terrorisme est présente dans plusieurs romans de Amine Zaoui parus en arabe et en français comme La soumission. «Dans ce roman, publié en 1998, j'ai creusé dans l'Histoire arabo-musulmane pour comprendre l'origine du terrorisme. Je me suis concentré sur la haine de la femme par les courants islamistes radicaux. Il y a aussi la haine de l'autre et la haine du travail. Sans oublier la haine du juif», a-t-il noté. Dans Le dernier juif de Tamentit, Amine Zaoui a replongé dans l'histoire médiévale du Touat-Gourara. «J'évoque la liquidition des juifs de la région par Abderkrim Al Maghili au XIIe siècle. Les racines d'Al Qaîda au Maghreb remontent aux anciens temps», a-t-il appuyé. Dans Yashou al harir (La soie se réveille), Amine Zaoui critique l'absence de la culture du beau et évoque le complexe par rapport au corps «qui mène à la violence». «Les courants violents refusent de voir le corps comme une forme de vie», a-t-il dit. Idées de liberté Hamid Abdelkader se revendique de la génération post-octobre 1988. «Une génération entrée en activité culturelle portée par la modernité et le rêve exprimée lors de l'automne 1988. Les espoirs étaient grands et nous nous préparions à une nouvelle société, une société ouverte, surtout avec l'effondrement des dogmes et de l'unicité de pensée», s'est-il souvenu évoquant les grands débats de l'époque. «Mais des voix hostiles à la démocratie s'étaient élevées pour mettre fin à ce courant moderniste. Des voix qui se revendiquaient d'une certaine légitimité religieuse. Ma génération avait senti le danger d'un projet intégriste et avait compris qu'il fallait défendre les idées de liberté», a-t-il dit. Selon lui, les journalistes avaient été amenés à publier des écrits engagés pour résister au radicalisme. En 1998, Hamid Abdelkader publiait son premier roman Al inzilaq (Le glissement, traduit au français par Moussa Acherchour) dans lequel il racontait une journée de la vie d'un poète et journaliste menacé de mort par des extrémistes religieux. «Une manière d'évoquer l'évolution d'un pays confronté à une violence religieuse née de comportements politiques non démocratiques. J'ai tenté de comprendre la naissance de la violence, à travers l'Histoire, dans les pays arabes et musulmans en évoquant l'épisode des Hachachine, de Hassan As-Sebbah et de la Citadelle de la mort», a souligné Hamid Abdelkader. Ecrire à cette époque de trouble était, pour lui, un acte de résistance à l'intégrisme.