A l'issue du scrutin du 12 décembre 2019, plus rien ne sera comme avant. Il y a eu un avant-22 février 2019 et il y aura un après 22 février 2019. Penser un instant que les revendications légitimes d'une partie de notre population dont celles portées par le Hirak, et cela 10 mois durant, passeront à la trappe, relève de l'ineptie. L'ensemble des candidats à la magistrature suprême s'est engagé à traduire en actes les doléances d'une grande partie de la population algérienne qui aspire avant tout à l'avènement d'un Etat de droit et d'une redistribution équitable du revenu national ; deux exigences cardinales du Pacte social interne que l'ancien président de la République, la bande et ses chevau-légers ont délibérément ignoré pendant 20 ans. Il convient d'abord de rendre hommage à l'institution militaire et ceci à deux titres. Elle a stoppé net les prodromes de la guerre civile, contenus en germe dans le projet diabolique initié par les coalisés de la bande. Toutefois, les relais du système mafieux mis en place en 1999, continuent de sévir, ce qui explique et justifie les mesures prises par l'état-major pour préserver l'ordre public. Contrairement à la quasi totalité des pays en butte à des conflits sociaux, les autorités algériennes n'ont, à aucun moment, remis en cause le droit de manifester, cependant qu'aucune décision restrictive de l'utilisation de l'Internet et des réseaux sociaux n'a été adoptée. Le sang-froid avec lequel l'état-major a géré la situation du pays depuis 10 mois est digne de tous les éloges. En second lieu, l'état-major a pris la tête d'une croisade contre la corruption qui n'a pas de précédent dans l'histoire de l'Algérie indépendante. Il ne se passe pas un jour sans que des contrebandiers lourdement armés et prêts à tout ne soient mis hors d'état de nuire par nos services de sécurité. Il ne se passe pas un jour sans que les services des douanes saisissent des centaines de milliers d'euros et/ou de dollars dans les aéroports sur des passagers en partance vers des destinations étrangères aujourd'hui bien connues. Depuis l'arrestation des figures les plus emblématiques de la ploutocratie algérienne, la réglementation des marchés publics est respectée à la lettre, les surfacturations rarissimes, tandis que les banques de la place n'accordent plus de crédits à leurs clients qu'en contrepartie de sûretés réelles ou personnelles avérées ; ceci sous le regard vigilant, voire inquisitif de la Banque d'Algérie. Ce bilan qui n'est que provisoire fera passer l'Algérie dans le Top 10 des pays qui luttent avec détermination et efficacité contre ce que l'on dénomme la « corruption active », fléau incomparablement plus dévastateur que la corruption dite «passive » dont les remèdes ne peuvent relever du seul registre répressif. L'état-major et la reconnaissance de la nation Comme il a été souligné et réitéré souvent, l'Armée algérienne ne nourrit aucune ambition politique ; ceci est une loi d'airain depuis l'adoption du constitutionnalisme libéral en février 1989. Par ailleurs, aucun candidat n'a été adoubé par l'institution militaire et aucun n'a le droit de se prévaloir de soutiens présumés ou réels au sein de l'Armée. Celui qu'élira le peuple algérien le 12 décembre (si toutefois celui-ci obtient la majorité des suffrages exprimés à l'issue du premier tour) devra immédiatement engager un dialogue avec l'ensemble des forces politiques et sociales dans une perspective de rassemblement de la nation tout entière. Malheureusement, tout aura été fait pendant 20 ans pour segmenter la société algérienne, accentuer les inégalités entre catégories sociales et entre wilayas, faire émerger une bourgeoisie compradore, totalement extérieure par rapport à son champ social et qui aura réussi à transférer à l'étranger quelque 60 milliards de dollars entre 2002 et 2019. La très lourde charge du futur président Le président nouvellement élu aura la responsabilité d'instruire la justice algérienne d'engager toutes les actions appropriées devant les juridictions étrangères dans le but de récupérer les biens mal acquis qui devront faire retour immédiat au Trésor public. Ceci dit, la saisie en Algérie d'une partie des biens détournés par les oligarques et anciens responsables politiques actuellement en détention et dont l'autre partie le sera, une fois les jugements définitifs les condamnant prononcés, constitue une mesure dont la portée sur les plans économique, social et moral est considérable. Le président de la République élu devra veiller à l'indépendance de la justice, élargir le champ des libertés individuelles et collectives, respecter scrupuleusement le principe de la séparation des pouvoirs(bafoué durant quatre mandats par l'ancien président de la République), mais aussi remettre les Algériens au travail, leur rappeler qu'en tant que citoyens, ils ont, à côté de leurs droits imprescriptibles, des obligations à l'égard de la collectivité nationale, à l'instar de celles spécifiques aux entrepreneurs et aux professions libérales. Faut-il rappeler que notre pays est celui dont le rendement de la fiscalité ordinaire est un des plus faibles au monde et que l'essentiel du fardeau fiscal repose sur les épaules des salariés qui font l'objet d'une retenue à la source jugée par eux de plus en plus excessive. Il est impératif de corriger ces disparités qui minent la cohésion sociale et alimentent, au surplus, les situations et comportements anomiques nuisibles à l'efficacité de la règle de droit et à son effectivité. Ce président aura également la lourde charge de réhabiliter une école sinistrée depuis 40 ans, un système de soins auquel peinent à accéder de plus en plus d'Algériens nonobstant sa médiocrité. Il devra réduire les dépenses publiques qui pèsent d'autant plus lourdement sur le budget de l'Etat que leur impact sur la création de richesses est insignifiant. A lui reviendra ainsi qu'au gouvernement qu'il désignera le soin de réduire le train de vie de l'Etat. Privilégier les problèmes de la jeunesse La jeunesse, la première, ne devra pas être oubliée par le nouveau président. Les jeunes Algériens qui ont entre 18 et 25 ans constituent la poutre faitière de l'Algérie de demain. Les étudiants qui manifestent depuis des mois chaque mardi expriment une réelle inquiétude non seulement par rapport à la recherche d'un emploi qui se fait de plus en plus rare pour les titulaires du bac + 3 et 4, mais lorsque l'emploi est assuré, par rapport au salaire moyen auquel ils peuvent prétendre. Celui-ci ne leur permet pas de réaliser un projet de vie : se marier, fonder une famille, accéder à la propriété du logement ou payer une location, acheter un véhicule, etc. Il faudra leur donner des gages concrets d'un avenir désirable dans leur pays, sauf à les pousser à l'exode vers un étranger mythifié ou à la révolte. Seule une meilleure redistribution du revenu national et elle est possible, sera de nature à retenir nos jeunes et à les encourager à s'impliquer dans la construction d'un pays qui a besoin de toutes ses ressources humaines pour avancer. Tous les candidats se sont engagés à réduire la fracture sociale. Sans doute, sa tâche la plus délicate et aussi la moins populaire, sera de convaincre les Algériens que le système rentier populo-clientéliste qui prévaut depuis 40 ans est désormais intenable, à la fois au regard de l'érosion de nos ressources fossiles et de l'augmentation de la population qui atteindra les 50 millions d'âmes à l'horizon 2025-2027. C'est le lieu de rappeler que la loi sur les hydrocarbures adoptée par l'APN le 14 novembre dernier, ne remet pas en cause d'un iota le principe de la souveraineté permanente de l'Algérie sur ses ressources naturelles, comme le prévoient expressément ses articles 4, 5 et 6. Encore eût-il fallu lire le texte. Ce n'est pas à l'honneur d'un observateur aussi averti des lois que Maître Mustapha Bouchachi de laisser entendre publiquement que cette loi porte atteinte à la souveraineté de l'Algérie. On peut discuter de son efficacité, de son attractivité potentielle, mais on n'a pas le droit de nier son caractère profondément protecteur des intérêts du pays et sa parfaite conformité avec la Constitution ainsi qu'à la loi du 1er décembre 1990, modifiée et complétée portant loi domaniale. C'est abuser les Algériens que de vouloir les laisser croire qu'il existerait une garantie du pouvoir d'achat international du pays autre que celle des hydrocarbures. Au moins jusqu'en 2040, et à condition de s'engager résolument dans la transition énergétique, le secteur pétrolier et surtout gazier continuera d'occuper une place prépondérante dans la croissance économique du pays. Par ailleurs, 34% de la production d'énergie sont consommés localement et cette proportion est appelée à croître dans les années qui viennent pour des raisons évidentes. Optimiser nos ressources fossiles tout en préparant l'après-pétrole C'est la raison pour laquelle la recherche et l'exploitation de nouveaux gisements ainsi que la rentabilisation de ceux insuffisamment explorés constituent un impératif de survie économique et social pour notre pays dans les années qui viennent, lesquelles seront des années difficiles en raison de la contrainte financière qui ne pourra être desserrée que progressivement. En réalité, c'est en 2010 que le Parlement aurait dû substituer la loi nouvellement adoptée à l'ordonnance du 29 juillet 2006 sur les hydrocarbures, car à cette époque déjà, la quasi-totalité des appels d'offres lancés par l'autorité de valorisation des ressources en hydrocarbures étaient infructueux. Quoi qu'on puisse penser de cette question, la préparation de l'après-pétrole devra être accélérée. Au nouveau président de la République de gérer directement la question des énergies renouvelables, car en cette matière le potentiel du pays est plus que fabuleux. Il faut savoir que l'Algérie constitue un des plus importants gisements d'énergie solaire au monde, grâce à une durée d'insolation de près de 4 000 heures par an et une irradiation journalière comprise entre 4 000 et 6 000 Wh/m² ; ce qui représente dix fois la consommation mondiale d'énergie. Il serait irresponsable et lourd de graves périls pour la nation de ne pas donner un coup d'accélérateur à la transition énergétique que les équipes gouvernementales précédentes ont laissée en déshérence, se heurtant au refus de l'ancien président de la République de prioriser ce secteur alors qu'il avait accordé son blanc-seing à l'ancien ministre de l'énergie, Chakib Khelil, en vue de la surexploitation de nos ressources fossiles. Conclusion L'élection présidentielle du 12 décembre 2019 devra rentrer dans l'histoire. Elle sera l'occasion de rétablir le lien de confiance entre gouvernants et gouvernés, rompu par la volonté cynique et machiavélique de la bande et de ses nombreux appendices. L'Institution militaire a déjà ouvert la voie vers cette salvatrice mutation en neutralisant la bande, en s'attaquant bille en tête à la corruption, quelle que fût la qualité de ses auteurs et la nature de leurs fonctions (civiles et militaires), en sauvegardant l'unité de la nation et la stabilité du pays et de ses institutions. Elle a rempli son office à l'image des sacrifices consentis par l'ALN dont elle est la digne héritière. Dès son entrée en fonction, quelques jours après la proclamation définitive des résultats du scrutin par le Conseil constitutionnel, le président de la République élu devra prendre le relais et poursuivre sans désemparer le redressement du pays. Il n'a pas le droit à l'erreur.