Leur condition sociale est de plus en plus préoccupante. Ayant soutenu la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, les citoyens qui ont pris les armes pour se défendre et défendre leur patrie contre le terrorisme sont dans le doute. Les patriotes ne savent pas, au juste, le sort qui leur est réservé dans le cadre de la réconciliation nationale. Vont-ils être désarmés? De quelle façon l'Etat va-t-il leur témoigner sa reconnaissance? Vont-ils bénéficier d'une pension? Ou alors de fusils de chasse comme le souhaitent certains d'entre eux? En tout état de cause, le sujet est sur toutes les lèvres. Depuis l'élection présidentielle du 8 avril dernier, la nouvelle, qui s'était propagée le plus dans les milieux des Patriotes et des Groupes de légitime défense (GLD), était que l'Etat veut leur retirer leurs armes. Il y a de cela plus d'un an, Yazid Zerhouni avait donné le ton en affirmant, lors d'une conférence de presse, que l'Etat devrait récupérer quelque 80.000 armes, sans pour autant préciser de quelles armes il s'agit. Un rôle considérable On ne doutait pas alors qu'il ne pouvait s'agir que de celles remises aux Patriotes et aux Groupes de légitime défense (GLD). Le même sujet est revenu sur la scène à la veille du scrutin portant Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Là aussi, cette frange de la société avait été gagnée par l'inquiétude ne sachant toujours pas quel sort allait lui être réservé. Mais il n'empêche qu'ils ont soutenu et voté favorablement le projet. Maintenant que celui-ci est devenu une réalité, le suspense est de mise d'autant plus que l'ordonnance portant application de la charte, ne fait pas référence à ce cas de figure. C'est à partir de 1993 que l'Etat algérien commençait à doter des citoyens de kalachnikovs, de pistolets automatiques ou de fusils à pompe, afin de se défendre et aussi d'assister les éléments des services de sécurité dans la traque des groupes islamistes armés. En parfaits connaisseurs du terrain, ils rendirent bien des services à l'armée pour traquer les groupes armés là où ils se terraient. Il participèrent aux opérations de ratissage, traquèrent les terroristes dans leurs localités respectives; les Patriotes et les groupes GLD ont été d'un grand apport à la lutte antiterroristes. Aujourd'hui, à l'heure de la paix, ils s'interrogent sur leur sort. Une interrogation d'autant plus légitime lorsqu'on connaît le risque qu'ils prennent en rendant les armes. C'est le débat de l'heure. «C'est une rumeur. Aucun Patriote n'a été désarmé dans notre secteur», assurait un Patriote dans la région de la vallée de la Soummam (Béjaïa). «Il est vrai que certains ont, de leur propre chef, rendu les armes de guerre pour s'équiper de fusils de chasse» reconnaît-il «mais sans qu'un ordre ne vienne d'une quelconque direction» précisait-il encore. Bien au contraire, souligne un autre: «Ils nous incitent à la vigilance, car dans la région, quelques poches du Gspc activent encore». Malgré les certitudes qu'ils affichaient, le doute s'est assurément insinué dans l'esprit de nos interlocuteurs. Les Patriotes font part qu' «ils ne résisteraient pas si les autorités leur réclamaient leurs armes» mais soutiennent-il «l'Etat doit nous assurer un minimum de sécurité.» Entendre par là, «l'Etat doit nous doter d'armes plus légères» explique-t-on. Pendant que certains préfèrent des armes de chasse, d'autres souhaitent une pension. Dans le texte d'ordonnances portant application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale «tout est clair», avançait un patriote sans donner de détails. Au pire, «il me restera toujours de quoi me défendre», concluait un autre. En général, on ne croit pas du tout à une éventuelle mesure de désarmement. La preuve? Il y a environ un mois et demi, des terroristes se sont fait abattre dans la région de Béjaïa et Tizi Ouzou. Ce qui laisse croire à l'existence de la menace terroriste. Une situation sociale difficile En cas de désarmement, les Patriotes et les GLD seront alors les premières cibles. C'est pourquoi on ne croit à rien dans le sens du désarmement, du moins, dans l'immédiat. «L'Etat est conscient du risque» expliquait un chef patriote dans la région de Béjaïa en requérant l'anonymat comme le reste de nos interlocuteurs. Indemnisés, pour la plupart, à hauteur de 11.000 dinars par mois, certains Patriotes n'ont de ressources que ce qu'ils gagnent à travers leur combat antiterroriste. Si le désarmement venait à être effectif, ils perdraient alors l'unique ressource pour faire vivre leur famille. C'est pourquoi d'ailleurs, des voix s'élèvent déjà pour exiger le maintien de l'indemnité ou son remplacement par une pension. Des Patriotes et des éléments du GLD la réclament à demi-mot. Les Patriotes qui risquent de perdre leurs droits (l'arme et l'indemnité) sont ceux qui exercent une activité professionnelle. C'est le cas de nombre d'entre eux. Les premiers signes de la volonté de l'Etat de désarmer les patriotes et les GLD viendraient de ce côté-là estime-t-on. La solution? Etaler la procédure de désarmement de civils dans le temps, pensent nos interlocuteurs. Mais, ce qu'il faut éviter le plus, c'est la levée de boucliers, car les Patriotes et les GLD ne sont pas disposés à rendre les armes facilement tant qu'ils ne se sentent pas en sécurité. «Qui peut nous garantir qu'aucun attentat ne sera perpétré contre nous?» nous dit un octogénaire, rencontré dans l'Akfadou. La volonté de l'Etat de récupérer les armes peut se justifier par l'impératif de les soustraire à une utilisation qui échappe au contrôle rigoureux. La condition sociale des Patriotes - parmi ceux d'entre eux qui se sont investis avec sincérité dans la lutte contre le terrorisme - est, de loin, plus préoccupante. Au-delà de la reconnaissance qui leur est due, il s'agit de la précarité de leur statut juridique. Beaucoup ont témoigné de leur quotidien qui, paradoxalement, devient de plus en plus difficile au fur et à mesure que la violence terroriste s'atténue. Habituellement, fiers qu'ils étaient d'avoir répondu à l'appel du devoir, les Patriotes avaient pris coutume de se livrer sans masque à l'opinion publique mais, aujourd'hui, ils refusent de dévoiler leurs noms à la presse.