On le savait dès les premières heures de sa désignation au poste de chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh n'aurait pas la tâche facile. En pleine vague de Covid-19, il aura pourtant fait mentir ceux qui prédisaient qu'il ne passerait pas la fin de l'année en cours. Voici une semaine, il a même brandi la carte de la franchise, avertissant que l'Etat faisait face à une crise économique extrême et qu'il fallait s'attendre à une réduction drastique des salaires et des retraites. Au moment où il cherchait à progresser dans la formation de son cabinet, Fakhfakh avait opposé un refus ferme à la formation islamiste Ennahdha et à son président Rached Ghannouchi qui, le recevant en son domicile, en compagnie de Nabil Karoui, président de Qalb Tounes, lui demandait de faire une place aux représentants du nouveau parti arrivé en seconde place lors des législatives d'octobre 2019. Ce refus a été réitéré, voici quelques jours à peine, mais cette fois en public. Il n'en fallait pas plus pour susciter une colère noire chez le président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui, on le sait, doit son perchoir au soutien de Qalb Tounes. Aussitôt, on apprend que Elyes Fakhfakh qui promet au peuple tunisien des jours sombres, en pleine traversée de la pandémie et d'un marasme socio-économique alarmant, est actionnaire de plusieurs entreprises ayant bénéficié de contrat avec les pouvoirs publics pour un montant de 44 millions de DT. La donne ne pouvait être ignorée par Ennahdha lorsque les tractations pour la composition du gouvernement allaient bon train. Aussi, peut-on s'interroger sur le timing des révélations, suivies de pressions sur Fakhfakh à qui on demande de tous les côtés une démission immédiate. Qalb Tounes vient d'annoncer hier soir qu'une motion de censure va être déposée à son encontre. Mais Fakhfakh n'entend pas s'y résoudre et il a écarté cette démission lorsque le président de la République tunisienne Kaïs Saïed le lui a conseillé. Pour le chef de l'Etat, il s'agit, en effet, d'un abus de confiance et d'une situation inacceptable, ne serait-ce qu'au regard de la campagne électorale avec laquelle il a emporté un suffrage, de loin supérieur à celui des partis qui dominent l'ARP. Elyes Fakhfakh a bien du mal à se résoudre à abandonner les fastes de la Kasbah mais tout indique qu'il va se heurter, ainsi que l'en a prévenu Kaïs Saïed, à des humiliations répétées. Il lui faut, en outre, se préparer à affronter la colère de la puissante Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) qui lui reproche la déclaration selon laquelle il compte s'attaquer aux salaires et aux retraites et qui exige le respect des engagements pris par son prédécesseur, Youssef Chahed, alors chef du gouvernement intérimaire. Avec toutes ces forces sur le dos, on voit mal comment il pourrait s'en sortir et des sources crédibles indiquent que le président Saïed a déjà un nom pour le remplacer. Face à Ennahdha qui mène le jeu pour son éviction, et le consensus qui se dessine à cet effet, tout indique qu'il lui faudra, bon gré mal gré, céder la place. Entre les feux croisés de Carthage et du Bardo, il lui faut comprendre que la partie doit s'achever aussi vite qu'elle a commencé.