"La guerre n´est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus." Antoine de Saint-Exupéry Il est malheureux de constater que l´indifférence gagne de plus en plus les hommes après trois longues années d´un carnage au quotidien en Irak. La folle équipée américaine, soutenue par une coalition de loin opportuniste, a une notion singulière du droit. Souvenons-nous, l´invasion de l´Irak a été décidée en vertu de trois mensonges d´Etat. Le manque de démocratie et la tyrannie de Saddam Hussein, la relation prouvée de l´Irak avec Al Qaîda, dans les attaques du 11 septembre et, enfin, par-dessus tout, l´existence d´armes de destruction massive qui menaceraient la paix du monde. On sait en définitive que mis à part la première accusation - quel est, en fait, le chef d´Etat arabe qui ne se sent pas concerné, à des degrés divers, par cette accusation? Les deux autres accusations sont fausses. Il n´y a pas de lien avec Al Qaîda. Ce sont en fait, les alliés qui ont aidé à le faire-, il n´y a pas d´armes de destruction massive. La guerre n´avait pas de raison d´avoir lieu sauf si on prend compte deux vraies raisons : la première est de donner une suprématie définitive à Israël sur tous ses voisins arabes réunis au nom de la solidarité évangélique. La seconde concerne la mainmise sur les réserves pétrolières qui permettront à terme de suppléer au vieillissement des gisements américains qui sont largement sur le déclin depuis une vingtaine d´années. Trois ans après, 30.000 morts qui s´ajoutent aux milliers tombés dans la bataille et aux 500.000 enfants morts de malnutrition des suites d´un embargo inhumain géré de la façon que l´on sait par l´ONU, qui, à cette occasion, a montré sa réelle efficacité...Des dizaines de milliers de manifestants défilaient samedi dans plusieurs villes européennes pour protester contre la guerre en Irak, notamment à Rome et à Londres, trois ans après l´invasion du pays par la coalition dirigée par les Etats-Unis. Une fabuleuse facture Trois ans après, l´Amérique de George Bush demande une rallonge au Congrès pour continuer la guerre le jeudi 16 mars, ce dernier acquiesce au déblocage de 67 milliards de dollars pour financer les interventions en Irak et en Afghanistan. La facture totale approche 400 milliards. Trois ans après l´invasion de l´Irak du fait que les tueries sont plus fréquentes que jamais et que le pays semble au bord de la guerre civile. A une question sur les erreurs commises, le représentant américain déclare : "Je ne crois pas que la guerre civile soit inévitable. J´admets que la sécurité est un problème. Nous avons sans doute commis des erreurs, nous ne sommes pas parfaits....C´est le sort de la région et, au-delà, l´avenir du monde, qui se jouent ici ". Pensez-vous que la sécurité des Etats-Unis ou celle de la France serait assurée si nous ne parvenions pas à remettre l´Irak dans la bonne direction? Il faut distinguer entre les terroristes djihadistes d´Abou Moussab Al-Zarkaoui (chef d´Al Qaîda en Irak), les baasistes qui veulent le retour de l´ancien régime et les groupes armés qui se présentent comme la "résistance nationale". Avec les deux premiers, il n´y a rien à négocier, nous les pourchassons. Avec les autres, nous avons commencé à discuter. Mais ils sont divers, divisés, et ce n´est pas simple. Nous leur offrons de déposer les armes et de rejoindre le processus politique ". Propos recueillis par Patrice Claude Le Monde du 17 mars 2003. Lors d´une conférence de presse du 3 mars 2006 au Palais des nations à Genève en Suisse, le porte-parole du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Unhcr), Ron Redmond s´est dit "profondément préoccupé" par la sécurité de milliers de réfugiés palestiniens en Irak considérés comme injustement "favorisés" sous le régime de Saddam Hussein, dont certains auraient été la cible des violences incessantes qui frappent ce pays. Et le Unhcr de conclure : " Les Palestiniens ont été soumis, ces dernières années, à des expulsions, des menaces et au harcèlement. De nombreuses familles palestiniennes ont ainsi quitté Baghdad pour aller à Ghaza, en Syrie ou en Jordanie. " Dans un rapport rendu public lundi 6 mars 2006, et intitulé "Au-delà d´Abou Ghraïb: la détention et la torture en Irak" (en anglais: Beyond Abu Ghraib: Detention and Torture in Iraq), l´organisation de défense des droits de l´Homme, Amnesty International révèle que "des milliers de personnes détenues par la Force multinationale (FMN) en Irak, dirigée par les Etats-Unis, sont prises au piège dans un système de détention arbitraire qui bafoue leurs droits élémentaires". Selon Amnesty, "3 ans après avoir renversé Saddam Hussein, la coalition conduite par les Etats-Unis n´a pas mis en place les mesures permettant de respecter les droits élémentaires des détenus sous son contrôle, ni de protéger ces personnes contre des actes éventuels de torture et d´autres violences. Le système de détention mis en place est arbitraire et rend possibles les violences", ajoutant: "Certaines personnes sont détenues par la FMN sans inculpation ni jugement depuis plus de deux ans, sans avoir pu remettre en cause les raisons de leur détention. Amnesty International constate avec inquiétude que ces affaires et les allégations de torture n´ont pas fait l´objet d´enquêtes réelles, et que les responsables n´ont pas dû rendre de comptes. Les enquêtes que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont faites sur les atteintes aux droits humains commises par leurs forces armées portaient généralement sur du personnel militaire subalterne, et les peines prononcées ne correspondaient pas à la gravité des infractions". L´agence américaine de presse Associated Press (AP) a déposé mardi 14 mars 2006 une nouvelle plainte contre le département d´Etat à la Défense pour le forcer "à rendre publics les documents identifiant la totalité des prisonniers actuels et passés détenus dans la prison spéciale de Guantanamo" à Cuba. Le juge fédéral de New York, Jed Rakoff, avait ordonné au Pentagone de publier d´ici au 3 mars 2006 la liste des prisonniers détenus sur la base militaire américaine de Guantanamo à Cuba. Des responsables du Pentagone, cités par le quotidien Washington Post, avaient indiqué que "la liste qui devrait être publiée le 3 mars ne serait pas celle des 490 personnes actuellement détenues à Guantanamo et qu´elle devrait plutôt contenir les noms associés à environ 390 scripts d´auditions, tous les détenus n´ayant pas participé à ces auditions". Un rapport de l´ONU, publié 16 février 2006, réclamait que tous les prisonniers détenus à Guantanamo soient jugés ou libérés immédiatement, une demande qui a été aussitôt rejetée par Washington. Amnesty International estime que Guantanamo est devenu "le goulag de notre époque"; la situation des détenus de Guantanamo ; il faut fermer Guantanamo"; "Stop Torture". Irene Khan dénonce les tentatives des Etats-Unis de banaliser la torture. Les Américains, souligne-t-elle, essaient de retirer son caractère absolu à l´interdiction de la torture en la "redéfinissant" et en l´"édulcorant". Or, rappelle-t-elle, "la torture gagne du terrain dès que sa condamnation officielle n´est plus absolue". Malgré l´indignation suscitée par les tortures commises dans la prison d´Abou Ghraïb (Irak), déplore Amnesty, ni le gouvernement ni le Congrès des Etats-Unis n´ont demandé l´ouverture d´une enquête approfondie et indépendante. Les tentatives du gouvernement des Etats-Unis visant à assouplir l´interdiction totale de toute torture, par une nouvelle politique et un discours puisant dans le vocabulaire de la gestion d´entreprise, avec des expressions du type "manipulation environnementale", "positions de stress" ou "manipulation sensorielle", ont constitué une remise en question particulièrement préjudiciable des valeurs universelles. Les autorités américaines ont beau avoir parlé à de multiples reprises de justice et de liberté, un énorme fossé séparait les discours de la réalité, comme le montre de façon flagrante l´absence d´enquête approfondie et indépendante sur les actes de torture et les mauvais traitements consternants dont ont été victimes des détenus de la prison d´Abou Ghraïb aux mains de soldats américains, aucun haut responsable n´ayant en outre eu à rendre véritablement des comptes dans cette affaire. "Les Etats-Unis, superpuissance politique, militaire et économique incontestée, donnent le ton en matière d´attitude des gouvernants dans le monde entier, a souligné la secrétaire générale d´Amnesty International. Lorsque le pays le plus puissant de la planète se permet des entorses à la légalité et aux droits humains, il donne le feu vert à d´autres pour l´imiter en toute impunité". Amnesty International et quotidien Le Monde, Paris, mai 2005 Enfin dans le même ordre d´idées, l´Association médicale mondiale a écrit une lettre ouverte, publiée samedi 11 mars 2006 par l´hebdomadaire médical britannique The Lancet, exhortant le gouvernement américain "à cesser de nourrir de force les prisonniers détenus sur la base américaine de Guantanamo" à Cuba. Les 260 médecins de cette association demandent à l´armée américaine de mettre fin à cette pratique "qui nécessite dans la plupart des cas une participation médicale". Ils soulignent que tout prisonnier a le droit, pour des raisons éthiques, de refuser un traitement. Cette initiative fait suite aux témoignages d´anciens détenus de Guantanamo affirmant avoir été nourris de force lors d´une grève de la faim. 5 prisonniers détenus à Guantanamo étaient en grève de la faim en février 2006 et 3 d´entre eux étaient nourris de force. «Des sous-hommes» L´armée américaine, bien barricadée, déplore de moins en moins de morts - il y eut tout de même, plus de 2000 GI´s qui sont morts - pour faire diversion, a lancé un raid mercredi 15 mars 2006 à Isahaqi, dans le centre du pays rasant une maison d´habitation. Les 11 occupants de la maison, pour la plupart des femmes et des enfants, ont été tués au cours de cette opération. L´armée américaine a confirmé l´opération, parlant de "4 morts et de l´arrestation d´un chef de l´insurrection irakienne". Plus de 1500 soldats irakiens et américains ont lancé une opération aérienne de grande envergure dans la région de Samarra afin, dit-on, "de sécuriser la zone et détruire les caches d´armes et d´explosifs". La mosquée d´or de Samarra, l´un des principaux lieux saints chiites, avait été détruite le 22 février 2006 par un attentat qui avait entraîné des violences interreligieuses de plus en plus graves. 1500 hommes, 50 appareils, avions et hélicoptères et 200 véhicules militaires sont mobilisés. C´est l´offensive aérienne la plus importante depuis l´invasion de l´Irak en 2003. Signe des temps, les soldats- mis à part les mercenaires grassement payés- veulent de moins en moins combattre. Ainsi, Ben Griffin, 28 ans, soldat britannique du Service aérien spécial (SAS), a annoncé dimanche 12 mars 2006 qu´il quittait l´armée et refusait de continuer de combattre en Irak indiquant que "les tactiques utilisées par les troupes américaines dans les opérations ne servaient pas à gagner les coeurs de la population locale en Irak" ajoutant que "les soldats américains n´ont aucun respect pour les Irakiens qu´ils ont considérés comme des "sous-hommes". Nous ne le contredisons pas. Le procès de Saddam Hussein pour crimes contre l´humanité, débuté le 19 octobre 2005, devant le Tribunal spécial irakien, tribunal d´exception mis en place par l´ancien administrateur américain Paul Bremer, le 10 décembre 2003, 3 jours avant sa capture, a repris après 10 jours de suspension. On trouve tout de même le temps de juger dans un décor surréaliste un Saddam Hussein qui, après l´humiliation de sa prise, reprend du poil de la bête " exhorte les Irakiens à s´unir contre l´envahisseur " Le président du tribunal Raouf Abdel-Rahman a, de ce fait, ordonné mercredi 15 mars 2006 que l´audition de Saddam Hussein se fasse à huis clos après que l´ancien président eut refusé de cesser ses déclarations politiques A l´époque, le premier procureur désigné Jaafar al-Moussaoui a affirmé, dans une interview diffusée par la Chaîne de télévision officielle al-Iraqiya, créée par les Etats-Unis qui veulent en faire "la future BBC irakienne", que "si le Haut tribunal pénal prononce la peine capitale contre des accusés dans l´affaire de Doujaïl, la loi est claire, il faut exécuter la sentence dans les 30 jours suivant la ratification par la Cour d´appel du tribunal". Il a ajouté: " Concernant les autres procès (dans lesquels ils sont accusés), le tribunal jugera les prévenus encore vivants, car ceux qui ont été exécutés ne peuvent plus être poursuivis. " Nous sommes d´accord avec lui sur cette évidence. De son côté, Israël ne perd pas de temps, en attendant la future punition de l´Iran, un petit galop d´essai a permis à l´Etat hébreu dans la pire tradition mercenariale de s´emparer du chef palestinien du Hamas. L´armée israélienne a lancé mardi 14 mars 2006 un raid sur la prison de Jéricho où étaient détenus plusieurs membres du Front populaire de libération de la Palestine (Fplp), que le président de l´Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas, (photo) avait indiqué vouloir libérer prochainement, dont Ahmed Saadate, chef du Fplp, qui a été capturé, ainsi que 7 autres membres de l´Organisation, lors de l´assaut mené par les soldats israéliens. Ahmed Saadate en détention depuis 2002 pour son implication dans l´assassinat du ministre israélien du Tourisme, Rehavam Zeevi, en 2001, avait été confié à la surveillance de gardiens britanniques et américains, selon un accord conclu entre Israéliens et Palestiniens. Ces gardiens avaient quitté l´établissement un peu plus tôt dans la journée, ont déclaré des responsables palestiniens. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a accusé Londres et Washington de s´être concertés avec Israël avant l´attaque de la prison de Jéricho. Que retenir, en définitive, du désastre irakien? Les germes d´une guerre civile en Irak sont présents. La partition de l´Irak est en route, la Mésopotamie connaîtra un nouveau destin comme celui qui a eu lieu suite aux accords de Sykes-Picot en 1917. La partition de l´empire ottoman - à l´époque surnommé, " l´homme malade de l´Europe ", n´en déplaise à ceux qui ont la mémoire courte- a donné lieu au Liban, à la Syrie. Par la suite, comme on le sait, l´émirat du Koweït a été rendu indépendant par la grâce de l´Angleterre. On sait comment cette 19e province fut revendiquée par l´Irak. Le chaos irakien est, à coup sûr, une boîte de Pandore qui n´a pas fini de libérer ses fantasmes.