Ils étaient différents. Le Français de Lyon et l'Algérien de Constantine. L'un né au début du siècle, l'autre vingt ans plus tard. Pourtant que de fois ne se sont-ils pas rencontrés, dans les mots qu'ils marquaient, dans la sensibilité qui les marquait. L'un était Antoine, l'autre était Malek, mais tous deux étaient des hommes, des frères dans le désert du monde, construisant « la citadelle des cœurs ». Au-delà des différences, somme toute bien ténues, c'est l'humanisme de l'un comme de l'autre qui les aura unis dans leur écriture et leurs positions. Soit le sens qu'ils ont voulu donner à leur œuvre et donc à leur vie, dans sa pérennité, à des générations de lecteurs, d'hommes. Si les études critiques confirment que c'est souvent autour de l'engagement de l'intellectuel que les deux auteurs ont construit la trame de leurs récits et leur vision du monde, l'affective proximité du lecteur dessine, plus volontiers, une grandeur d'âme partagée entre les deux hommes. Malek et Antoine, sous leurs dehors bourrus, étaient aussi des petits Princes, porteurs de cette blessure de solitude, paradoxe de tous ceux dont l'élan vers les autres leur faisait découvrir l'abîme qui pouvait les séparer des cœurs endurcis ou malades. Cette blessure, due à leur générosité, s'avérera béante, quand la guerre en lacérera plus profondément les chairs vives. Tous les deux souffraient de cette antinomie de leur nature et de leur réflexion qu'est la guerre. Celle-ci, qu'elle fût nazie ou coloniale, leur fut cruellement imposée, comme à tous les hommes justes. Et si le sergent de la guerre civile espagnole, qu'interpellait le journaliste Saint Exupéry, ne savait pas pourquoi il mourait, Antoine et Malek savaient que leur cause, qui était commune, était celle qui ferait que les sergents, comme tous les hommes, sauraient pourquoi ils devaient vivre et ne défendre qu'une seule cause : celle de la liberté et de la dignité. Cette liberté et cette dignité, dont chacune des lignes des ouvrages de Malek était porteuse. Non pas de manière simpliste et réductrice, mais dans toute la complexité d'une problématique, qui, pour être celle d'une nation, se posait d'abord en termes humains, à l'échelle de l'individu. Cette dimension humaine de la guerre de libération et de ses déchirements affectifs et intellectuels est bien le propre de l'œuvre de Malek, toute de lucidité et de sensibilité, d'honnêteté intellectuelle. Pour des hommes d'honneur (et la Déclaration du 1er Novembre le confirme, tout comme l'Appel du 18 juin), aucune guerre, aussi juste soit-elle, ne va de soi : le reconnaître n'est signe que d'intelligence de l'esprit et de noblesse de l'âme, n'en déplaise aux détracteurs. Ceux-là mêmes pour qui les valeurs de l'humanisme ne sont que des artifices « petits bourgeois ». Cet adjectif, présumé « infamant », sera d'ailleurs utilisé pour qualifier la démarche de Haddad, à qui on reprochera, pêle-mêle, sa réussite professionnelle, son soutien à Boumediène ou sa position vis-à-vis du français. La mode dogmatique passée, du moins celle-là, les écrits de Malek Haddad demeurent, par une espèce d'ostracisme hérité, largement méconnu, par rapport à ceux d'autres écrivains de sa génération. De même, ceux de Saint Exupéry sont confinés dans une littérature d'action, au succès de petit prince ou à une vie passionnante, qui pourtant ne sauraient dissimuler la profondeur et l'importance de l'œuvre. Deux grandes œuvres, deux grands écrivains - et deux grands journalistes engagés - mais, surtout, grands hommes à découvrir ou, plutôt, à redécouvrir, dans leur déchirante actualité, qui est aussi celle de notre propre époque. « Ecoutez, ils nous appellent. »