Auteur de deux romans édités, Lounès Ghezali est l'exemple-type des auteurs qui s'adonnent à la littérature par passion et par plaisir et non pas pour bâtir une carrière d'auteur au sens conventionnel du terme. Sa modestie face à ce que peut représenter l'édition d'un roman montre à quel point Lounès Ghezali est un écrivain qui ne ressemble pas aux autres. Quand un journaliste le sollicite pour une interview, Lounès Ghezali répond positivement sans se faire prier, mais de là à courir les rédactions des médias comme le font certains auteurs, Lounès Ghezali est loin d'être de cette catégorie. Pourtant, le talent littéraire ne lui manque pas. Il suffit de lire quelques lignes de l'un de ses deux romans pour ne plus pouvoir s'arrêter. Il en est de même des articles littéraires qu'il partage sur ses pages facebook. L'histoire d'amour entre Lounès Ghezali et la littérature est toute particulière. Histoire d'amour avec la littérature «Très jeune, j'étais fasciné par les contes.Ça me convenait parfaitement pour l'évasion par l'esprit. Bien entendu je ne connaissais ni les littéraires ni les styles. Je naviguais à vue. J'ai arrêté les études prématurément et je n'avais personne pour me montrer le chemin à suivre ou du moins un programme pour ne serait-ce qu'avoir des repères», raconte-t-il avec une sincérité déconcertante. Le véritable déclic s'est produit le jour où le destin mit sur sa trajectoire des livres d'auteurs classiques français. Il s'en souvient comme si cela datait d'hier: « Un jour, j'ai commencé à découvrir les classiques de la littérature française. Je les découvrais par l'intermédiaire d'un ami. Et là commence pour moi la vraie aventure. Je découvre du coup les tragédies (théâtre), Racine, Molière et Corneille, puis les romans avec Maupassant, Stendal, Hugo, Jules Vallès, Emile Zola etc. J'ai commencé évidemment à saisir le sens des phrases, des mots, à reconnaître quelques manières d'écrire. Jusque-là, je ressentais toujours cette distance avec le monde de l'écriture. Pour moi, ce monde là appartient aux autres.» Lounès Ghezali précise que, tandis qu'il accumulait des connaissances, il découvrait d'autres espaces imaginatifs. Puis, c'est le véritable coup de foudre avec l'inénarrable littérature russe et son regard tourné vers l'intériorité avec bien sûr: Dostoïevski, Tolstoï, Gogol, Pouchkine. Couleur et imagination Et comme l'appétit vient très souvent en mangeant, Lounès Ghezali enchaine ses pérégrinations livresques en atterrissant naturellement et inévitablement sur la littérature sud-américaine «Pleine de couleur et d'imagination». Il cite entre autres l'incontournable Garcia Marquez, mais aussi Fuentes et Gomez Arcos. Mais bien sûr et de toute évidence, toute cette galerie littéraire ne pouvait ne pas inclure les grands romanciers algériens comme Mouloud Mammeri, Assia Djebar, Tahar Djaout, Mohammed Dib, etc. Africaine aussi, se rappelle Lounès Ghezali, «celle qu'on appelle de l'étourderie». Après avoir avalé autant de livres avec voracité, il faut le dire, ce qui devait arriver arriva. Lounès Ghezali passe à l'action. «Puis un jour, j'ai commencé à écrire mes premiers textes», dit-il. Il s'agit de nouvelles dont les premiers balbutiements remontent au milieu des années 90. Mais, regrette Lounès Ghezali, les événements de l'époque ont perturbé cette fidélité à l'art et à la littérature: «C'était impossible de fantasmer sur le beau alors que nous étions dans l'horreur. L'obscurité a fini par absorber tous les rêves», explique notre interlocuteur en ajoutant: «Depuis une dizaine d'années, avec la situation qui se calme j'ai repris un peu le rêve et l'imagination. J'ai commencé à prendre des notes pour écrire mon roman «Le rocher de l'hécatombe». Fort heureusement il y en avait encore de ceux qui racontent cette tragédie oralement, en fragments certes, mais il y a encore pas mal de choses qui se racontent». De quoi s'agit-il en fait dans ce premier roman? L'écrivain explique que dans ce roman, il est question, en fait, d'une expédition punitive turque contre le village Ait Said (dans la commune de Mizrana) près de Tigzirt, qui n'est autre que son propre village: «J'ai fini par comprendre toute cette histoire bien sûr, je me suis imprégné de cette période là en lisant des ouvrages qui en parlent. Josh Robin, Mouloud Gaid, Amar Boulifa... et j'ai fait un voyage pendant 3 ou 4 ans en compagnie des personnages du roman. Certains parmi ces derniers sont réels puisqu'ils sont cités par des historiens. D'autres sont évoqués par les légendes racontées. D'autres encore sont créés avec toute la liberté d'une fiction. La plongée suscite évidemment beaucoup d'émotion et il s'agit de vivre ce moment dramatique vécu par les villageois en 1825». Qu'en est-il de son second roman édité en 2018 et intitulé «L'appel de la montagne»? Lounès Ghezali nous en parle: «L'autre roman s'est fait sur un schéma narratif simple. Il s'agit d'un personnage banal des années 50. Il rentre sans qu'il y ait de prédispositions dans la révolution en novembre 54». Dans ce deuxième roman, le texte se présente dans la forme de l'autobiographie, les événements se succèdent graduellement et le personnage principal raconte les péripéties qui ont été les siennes pour arriver au stade de devenir moudjahid. Comme on peut le deviner, le roman se déroule dans un village de Kabylie et, précise Lounès Ghezali, en arrière-fond, il y a un meurtre qui n'est pas élucidé par les gendarmes et l'administration coloniale. Aventure dans l'irréel La population, elle, en connait les tenants et aboutissants, mais elle refuse de dénoncer parce que les assassins sont d'une grande famille redoutée, protégées par l'administration coloniale de surcroit. Qu'est-ce qui a engendré cette passion qu'a Lounès Ghezali pour la littérature? Ce dernier répond franchement: «Je ne sais pas pourquoicet amour pour la littérature. Est-ce une tentative de restitution d'un certain univers imaginatif ou une évasion tout simplement vers l'ailleurs.» Et que représente pour lui le livre? Une composition des faits et des lieux: «certains ont cette prétention au mythe et le livre suscite curiosité et enthousiasme. Notre réalité est souvent amère. Le conteur, lui, s'aventure dans l'irréel. Il recrée le monde de la beauté et du fantasque pour échanger justement cette réalité contre le rêve et même si on est isolé du reste du monde, la littérature permet de partager. Elle donne l'occasion à des rencontres avec tous ceux qui vont vers l'humain. Quelques fois même, il y a en elle des relents de sublimation de la vie parce qu'elle dénonce les guerres, les mensonges et tout ce qui appartient à la face sombre de l'être humain». Comme on peut le constater, Lounès Ghezali parle comme dans un livre.