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«Je déplore l'absence des autorités»
Ali Boukhalfa, le lion de Batna et l'esthétique en Algérie
Publié dans L'Expression le 15 - 02 - 2021

Il a récemment créé le buzz sur les réseaux sociaux, en raison de sa sculpture jugée ridicule par la majorité des personnes l'ayant vue sur la Toile. Lui, c'est Azzedine Merif, l'auteur de ce lion qui fait plus de quatre mètres, installé récemment, sur une place publique en pleine région de Chamra, dans la wilaya de Batna. Cela aurait pu passer inaperçu, si ce n'est la force de la toile qui a créé la polémique en provoquant une onde de choc auprès des observateurs avertis et de la population en général. Pourtant, ce fait divers, n'a rien de banal, anodin ou rare, mais une chose qui se fait de plus en plus fréquemment ces dernières années. Qui décide alors de quoi et de comment? Comment laisse t-on passer des oeuvres dont certaines sont carrément moches, n'obéissent à aucune norme internationale en matière d'esthétique ou encore d'éthique. Des statuettes qui sont payées le plus souvent à coup d'argent colossal, fruit du contribuable qui est le plus souvent jeté par la fenêtre. Que dire de cette histoire du monument de Chachenaq qui a été récemment inauguré en Algérie pour fêter Yennayer? Pourquoi sommes nous partis aussi loin, en Egypte pour célèbre notre année berbère? Au-delà du fait que cela relève dans ce cas précis de l'histoire et donc du fond, la forme, c'est-à-dire le personnage, a été aussi contestée au regard des spécialistes, voire des plaisantins qui, d'aucuns compareront le visage de ce roi pharaonien à celui de Hafid Derradji, carrément! Suscitant ainsi la blague au lieu et place de la fierté. Mais revenons à nos moutons ou plutôt à ce lion érigé en pleine place publique à Batna. Un véritable croisement entre Shewbacca de Star Wars et un singe gorille sur quatre pattes! Pour se défendre, l'auteur de cette étrange monstruosité a décidé de sortir de l'anonymat en se faisant prendre pour la victime. Et de répondre ainsi aux attaques et apporter, selon lui, des éclaircissements sur cette affaire.
«Je ne suis pas responsable...
Il affirme sur la chaîne télé Djazaïriya: «Je suis un artiste, J'ai voulu offrir un cadeau à ma région, un cadeau réalisé avec des moyens modestes, au prix symbolique». Et d'ajouter: «Ce projet ne possède ni cahier des charges ni l'obligation de soumissionner à une quelconque commission. Je suis un artiste peintre et dessinateur. Je ne suis pas spécialisé dans la sculpture. J'ai juste voulu offrir quelque chose de moi-même à ma daïra. J'ai fauté effectivement. Mais certains ont aimé, comme d'autres ne l'ont pas aimé. La faute ne peut m'être incombée. Moi, j'ai fait ce que j'ai pu. Au tout départ, il aurait fallu que le travail soit évalué pour qu'on puisse accepter de le mettre ou de le rejeter. Et d'ailleurs, je ne savais même pas où allait être son emplacement. Si j'avais su qu'il allait être placé dans un rond-point je ne l'aurais pas fait de la sorte, mais j'aurais au moins proposé quelque chose de meilleur que ça.». L'auteur de cette sculpture controversée expliquera aussi le choix de l'animal par le fait qu'à Batna on chassait le lion africain. Aussi, réfutant les accusations dont il a fait l'objet, l'interviewé dira qu'il n'est pas entrepreneur ni un sculpteur, mais un artiste peintre issu de l'école des beaux-arts. «J'ai essayé d'apporter à ma daïra et mon pays ce que j'ai pu et avec très peu de moyens d'autant plus que cela a été réalisé avec de la terre cuite et je n'ai pris que six millions sur les seize millions de centimes, de quoi payer le sable et la colle et ce rond-point d'ailleurs, se situe dans un village et pas en ville. Je ne m'attendais pas du tout à ce que cela provoque autant de bruit, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. Je répète, j'ai essayé de donner le meilleur de moi-même.»
Djoussour à Diwaniya galery
Questionné à ce sujet, par nos soins, le célèbre sculpteur Ali Boukhalfa qui a vécu et travaillé à Paris dans sa jeunasse et ce durant plus de trois ans dans les ateliers du célèbre précurseur de l'art brut, Jean Dubuffet, nous dira toute sa déception, voire sa colère quant à cette affaire qui ne fait que se répéter ces dernières années, rappelle-t-on.
Notons qu'Ali Boukhalfa présente, actuellement, une très belle exposition d'art picturale à la galerie Diwaniya, sise à Chéraga et fondée par l'artiste Hamza Bounoua. Intitulé «Djoussour» ou pont, cette exposition hautement en couleurs, établit un très beau pont entre Ali Boukhalfa et son ancien mentor. Deux grands artistes dont la destinée s'est croisée pour non seulement travailler ensemble mais pour partager aussi, l'un comme l'autre l'amour du sud de l'Algérie car ayant tout les deux séjourné dans ces régions-là, mais aussi l'attrait pour tout ce qui est étude et apprentissage et l'amour pour la curiosité et la créativité dûment renouvelées. Avant de se consacrer à la peinture, Ali Boukhalfa a contribué à la construction de nombreux monuments en Algérie. C'est donc en sa qualité de grand sculpteur, ayant emmagasiné une grande expérience dans le domaine, qu'on lui a demandé son avis, notamment sur la statuette du lion de Batna.
L'expertise et la qualité
Il nous répond tout de go: «Je déplore l'absence des autorités. Où sont les responsables du ministère de la Culture? Ils doivent être présents à chaque fois qu'il y a un monument qui est érigé.» Et de renchérir:
«Un monument ça se prépare. Il ne se réalise pas avec uniquement le sculpteur. Ce dernier doit être accompagné par un historien. Le directeur de la culture de la wilaya doit être présent. Il doit faire le suivi et ne pas bousculer l'artiste. Car quand les autorités commandent un monument ils se mettent souvent à presser l'artiste à rendre son oeuvre alors que cela demande du temps si l'on veut avoir une oeuvre de qualité. J'ai moi-même subi de la pression.» Et d'observer: «J'attire l'attention les autorités sur une chose: Ils doivent laisser le temps à l'artiste pour faire son oeuvre. Cette dernière va rester durant des générations. Certaines de ces personnes manquent carrément de considération envers l'artiste et l'art en général. Quand j'ai travaillé à New York pour le compte de Rockefeller, suite à sa commande d'une sculpture auprès de Jean Dubuffet, j y ai mis deux ans. C'était avant tout une affaire de négociations entre hommes dans laquelle les personnalités politiques ou le président ne s'en mêlaient pas...c'est l'art qui prédominait avant tout.»


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