Ce qui devait être une grande révélation, ne fut qu'un immense gâchis, un immense échec. La liste des 558 prisonniers rendue publique il y a deux jours, renseigne qu'il s'agit surtout de sous-fifres, de sympathisants, de parfaits inconnus, donc d'individus sans grande valeur dans la « guerre contre la terreur » menée par l'administration Bush. On s'attendait à trouver des noms illustres, au moins une vingtaine sur les 600, et qui auraient justifié ce «grand massacre» juridique, mais il n'en fut rien. Guantanamo n'aura servi qu'à couvrir Washington d'impunité et de faire de cette base américaine une sorte de «no man's land juridique» de la néo- décadence. La liste ne comprend en effet aucune figure d'Al Qaîda, et pas plus d'un groupe terroriste islamiste connu ou de l'ancien régime taliban au pouvoir en Afghanistan jusqu'en 2001. «Ces gars-là ne savent rien. Et de toute façon, même ceux qui savaient un petit peu, au bout de quatre ans que voulez-vous que leurs informations valent?», s'est indigné le chercheur français Olivier Roy, spécialiste reconnu de l'Asie centrale. Pour l'Américain Tom Malinowski, du bureau de Washington de l'ONG Human Rights Watch, «plus on en apprend sur ces prisonniers, plus des failles apparaissent dans la version donnée par le président Bush d'un combat âpre et triomphant contre Al Qaîda». Interrogé récemment par l'hebdomadaire américain National Journal, Michael Scheuer, ancien chef de «l'unité Ben Laden» au sein de la CIA, a estimé qu'il s'agissait au mieux d'hommes de rang des talibans, «qui ne savent absolument rien sur le terrorisme. Il est absolument certain que nous n'avons pas capturé les bonnes personnes». De passage à Paris, Sandra Hodgkinson, directrice-adjointe du bureau des crimes de guerre au département d'Etat, a réagi en expliquant que même s'il ne s'agit pas de gros poissons, leurs interrogatoires ont permis d'obtenir de bons renseignements. «Nous avons appris des choses sur les structures d'Al Qaîda, ses mécanismes de financement, de recrutement et d'entraînement, sur leurs méthodes de voyage, leurs motivations ou sur les ONG qui lui prêtent assistance», a-t-elle assuré. «C'est n'importe quoi. Guantanamo est un immense échec», a dit le chercheur français Olivier Roy.. Parmi les 125 Afghans figurant sur la liste, certains ne sont identifiés que par un seul nom («Hafizullah», «Nasibullah» ou «Sharbat»). «Comme il y a par définition beaucoup d'homonymie en Afghanistan et au Pakistan, plein de gens ont été arrêtés parce qu'ils portaient le nom d'un autre gars, a estimé Olivier Roy. Les Américains ne savent pas exactement qui ils détiennent à Guantanamo. Des tas d'hommes ont été tout simplement vendus: les Pakistanais ont piqué au hasard des étrangers, un peu n'importe où. Les Afghans ont fait pareil: chaque fois que les gars de l'Alliance du nord capturaient un étranger, ils le livraient en disant: «c'est un Al Qaîda.» Et les Américains donnaient 500 ou 1000 dollars. C'était devenu le sport national. Comme en plus ils détestaient ces volontaires étrangers, c'était tout bénef.» Pour l'Américain Tom Malinowski, du bureau de Washington de l'ONG Human Rights Watch peu de «combattants» sont même accusés d'avoir combattu. Nombreux sont ceux qui sont détenus uniquement parce qu'ils vivaient dans une maison associée aux Taliban ou parce qu'ils travaillaient pour une organisation humanitaire liée à ce groupe. 25 Algériens, des Yéménites, des Saoudiens, des Tunisiens, des Australiens, des Marocains, des Tadjiks et même- le comble- des Chinois. Mais qui sont-ils réellement? On ne le sait pas. Des inconnus, des aventuriers sans envergure, des révolutionnaires dans leur esprit et des exclus de la modernité qui avaient peut-être une dent contre l'hégémonisme américain et qui sont passés à l'acte. Les grands chefs d'Al Qaîda courent toujours. Parlent. Font des enregistrements vidéo et narguent Washington. Ceux qu'on ne voit plus sont déjà morts. Depuis plusieurs années pour certains. L'un des premiers grands chefs à tomber a été Mohamed Abdelaziz el-Gauhari, plus connu sous le nom de Mohamed Attef, ou sous son nom de guerre, Abou Hafs el-Misri. Il était le n°3 après Ben Laden et Zawahiri, et les services secrets égyptiens confirment qu'il avait été tué dans les bombardements américains de Tora-Bora, en fin 2001. Il était le chef militaire et le premier décideur des actes de violence à commettre. En mars 2002, Abou Zoubeïda est arrêté au Pakistan et remis aux autorités américaines. Il était le responsable des opérations extérieures et du recrutement. Le 5 juin 2002, Ramzi Ben Al-Sheïba est arrêté et remis aux Américains, qui le maintiennent, depuis, dans un lieu secret. Il était un des coordinateurs des attentats du 11/9. Abdel-Rahim Al-Nachiri, responsable des opérations pour le Golfe, est arrêté aux Emirats arabes unis. Al-Harthi, un des responsables de l'opération contre le destroyer américain USS Cole, est tué dans un raid lancé par la CIA dans la province yéménite de Maâreb. Abdelaziz el-Moqrin, chef d'Al Qaîda pour l'Arabie Saoudite est tué par la police locale à Riyad, au début de l'été 2004, bien qu'il ne figure pas réellement dans le gotha Al Qaîda. En fait, les trois principaux chefs ciblés par l'opération contre l'Afghanistan, le Mollah Omar, Oussama Ben Laden et Aymane Al-Zawahiri, sont toujours en vie et n'ont jamais mis les pieds à Guantanamo Bay.