Un an avant le début de la campagne électorale pour l'élection présidentielle de 2007, le débat s'envenime en France, à l'initiative des responsables politiques de droite et d'extrême droite qui semblent déterminés à un affrontement sans merci sur le traditionnel sujet de l'immigration. Le projet de loi diligenté par le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, par ailleurs président de l'UMP et candidat virtuel de la droite, est une pierre apportée à l'édifice d'un programme qui vise, ni plus ni moins, une forte surenchère sur la question, seul moyen, estime son entourage, de concurrencer efficacement le discours de Jean-Marie Le Pen. La leçon de 2002 est en effet dans les esprits et les dirigeants de l'UMP ne veulent pas se réveiller comme au soir du 1er tour de cette élection présidentielle qui, un certain 21 avril, a vu, contre toute attente, le patron du Front national devancer, avec 16,86% de voix, le candidat socialiste Lionel Jospin, dont le score avait été émietté par la multiplicité des candidatures rivales et dont le solide bilan gouvernemental avait pâti d'un discours bizarrement libéral. Cette démarche qui consiste à attiser les réflexes xénophobes de l'électorat, notamment celui des zones paupérisées, qui passent pour être devenues un vivier du FN, n'est pas sans risque mais le député-maire de Neuilly, rompu à des retournements politiques de grande envergure, agit apparemment en connaissance de cause, n'hésitant guère à forcer le propos jusqu'à paraître plus lepéniste que Le Pen. Conscient de la « supercherie », les ténors de l'extrême droite ont déjà fourbi les armes de la disqualification. Si Marine Le Pen, au nom du père, considère le discours sarkozien comme une pâle contrefaçon, Philippe de Villiers, lui, va plus loin dans ses attaques, accusant carrément le gouvernement de droite de complicité avec les organisations islamistes qui «infiltrent» les rouages stratégiques français. Dans un ouvrage à polémique, à paraître cette semaine et intitulé Les mosquées de Roissy, le chef du Mouvement pour la France (MPF) puise des arguments dans des notes et des rapports officiels des Renseignements généraux et de la Police des frontières, pour affirmer que les aéroports tels que Roissy abritent un activisme débridé d'imams islamistes. De là à en conclure à l'islamisation de la France au pas de charge, il n'y avait qu'un pas, allègrement franchi par le très peu chevaleresque candidat souverainiste, en concurrence sévère avec le patriarche du FN. «L'Islam n'est pas compatible avec la République», affirme de Villiers et la présence d'une communauté forte de 5 millions de personnes lui apparaît comme étant «profonde et dangereuse». Pour ne pas demeurer en reste, Nicolas Sarkozy emboîte le pas à un tel discours. Il y aura donc, bel et bien, une dérive, extrêmement préoccupante, de la précampagne électorale qui, jusqu'ici, s'en tenait au thème récurrent de l'immigration clandestine, puis de l'immigration tout court, mais qui, désormais, s'érige en mise à l'index d'une frange «réelle» du peuple français, coupable de sa seule foi. La gauche, toutes obédiences confondues, paraît tétanisée par la violence et l'ampleur de cette propagande poujadiste à laquelle, confirme un sondage récent, près d'un tiers des Français se dit sensible au point de la consacrer comme une politique proche de ses préoccupations. Certes, le CPE a résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel de la droite et laisse penser que les jeux ne sont pas encore faits, mais à bien regarder le PS, on ne voit pas très bien comment, ou plutôt par qui, la gauche caviar pourra être sauvée, elle qui, depuis la Marche des beurs en 1981, s'est moquée des aspirations de cette génération des banlieues qui hurle, désormais, sa révolte contre tout l'establishment politique, toutes tendances confondues. Le coup de semonce de de Villiers, en tout cas, a déjà fait une victime, le directeur central des Renseignements généraux, Pascal Mailhos, qui fait les frais de son analyse des émeutes des banlieues dans lesquelles il n'a pas vu, contrairement au ministre de l' Intérieur, la main des islamistes. M.Mailhos, successeur d'Yves Bertrand, inamovible à ce poste durant plus d'une décennie, a également le tort d'être proche de Jacques Chirac dont il a été l'un des conseillers. Avec cette banalisation annoncée des discours caricaturaux de Le Pen et de de Villiers, la campagne électorale 2007 va se fourvoyer dans un discours de haine et de xénophobie jamais atteint jusqu'ici, au point de porter gravement atteinte à la France des lumières et des Droits de l'Homme que nombre de peuples gardent dans leur coeur, avec sa langue et sa culture humaniste, à laquelle risquent d'attenter, aujourd'hui, des hommes politiques qui, pour certains d'entre eux, oublient un peu vite qu'ils sont, eux aussi, des enfants de l'immigration.