Que voteront les Français d'Algérie au second tour de l'élection présidentielle en France ? Vers quel choix se dirigent les 27 000 électeurs inscrits sur les listes de l'ambassade de France à Alger ? S'il est certain que le choc UMP-PS, Nicolas Sarkozy versus Ségolène Royal, suscite des débats en France, il en est de même ici pour cet électorat particulier. Le jeu n'est toujours pas fermé. Le choix n'étant pas complètement tranché. Au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle en France, et à la veille d'un second tour qui ne déroge pas au traditionnel combat gauche-droite, les uns et les autres s'interrogent sur le vote des vingt-sept mille Français résidant en Algérie, dont près de 90% sont des binationaux et ce, même si le taux d'abstention est relativement élevé. Si le nombre de votants n'a jamais était aussi important, le taux de participation dimanche avoisinait les 20% au niveau des représentations diplomatiques françaises. S'il est difficile de se prononcer ou de pronostiquer un quelconque avantage à Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy, les discours des deux candidats à la présidentielle sur des sujets qui intéressent cet électorat particulier offrent des pistes d'analyse et de choix. Les binationaux votent certes en fonction de leur adhésion à des principes politiques généraux en France, mais également, et c'est leur particularité, en fonction du discours prôné notamment sur l'Algérie, le traité d'amitié, l'immigration ou encore la politique arabe, la question des visas ainsi que le travail de mémoire et la colonisation. Il reste à savoir cependant s'il s'agit pour l'un comme pour l'autre des deux candidats de propos de circonstance conjoncturels à une élection présidentielle. Chacun ayant pour limites celles de sa formation politique. Et dans ce large panel de principes, gauche-droite, le positionnement se fera également sur la personnalité des deux candidats. Fait nouveau chacun se voulant le “renouveau” d'un courant séculaire. Relations bilatérales La nature des relations bilatérales ainsi que la teneur que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy veulent lui donner sont un facteur important. D'autant qu'il s'agit d'un sujet de préoccupation de part et d'autre de la Méditerranée. Et les deux candidats à l'élection présidentielle en France ont, chacun à sa manière particulière, essayé de s'attirer les faveurs d'une communauté en France comme en Algérie sensible à ce sujet durant les derniers mois. Le contexte étant marqué par les tensions qui ont caractérisé les relations bilatérales suite à l'adoption de la loi du 23 février vantant les “mérites” de la colonisation et envoyant aux calendes grecques un traité d'amitié longtemps souhaité par les deux Présidents. La candidate socialiste n'a pas manqué, lors du déplacement de Jack Lang, son conseiller spécial, en Algérie, en février dernier, d'émettre un message fort en ce sens. Ségolène Royal a souhaité dans une lettre transmise par son émissaire au président de la République que les rapports entre la France et l'Algérie soient une “référence” dans les relations entre le Nord et le Sud. “Ma priorité, si je suis élue, sera de jeter les bases, avec vous, d'une relation renforcée entre nos deux pays, car mon sentiment profond est que nous pouvons résolument passer à une dimension supérieure dans les liens de coopération qui nous unissent”, a écrit Ségolène Royal. La relation historique entre Paris et Alger, dira-t-elle, “faite d'intimité, doit se développer dans la confiance et être soudée par l'amitié”. Ségolène Royal qualifiera la colonisation de “système de domination, de spoliation et d'humiliation”, estimant “fondamental” que Paris et Alger “puissent élaborer ensemble une restitution de l'histoire qui tienne compte de notre histoire partagée”. Après des années de mésententes historiques entre l'Algérie et les socialistes français, la première pierre d'un réchauffement avait été posée lors du déplacement de François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste en novembre 2006. En plein débat sur les “bienfaits” de la colonisation sur l'initiative de la droite française, François Hollande avait affirmé à Alger qu'il “n'y avait rien de positif à la colonisation”. Le président de l'UMP, dont le courant gaulliste et républicain a marqué les temps forts de la coopération bilatérale, Nicolas Sarkozy lui aura un discours ambigu selon ses interlocuteurs. Lors de son déplacement à Alger en novembre dernier et en sa qualité de ministre de l'Intérieur, il ne manquera pas de relever que “les relations entre l'Algérie et la France sont extrêmement importantes” appelant à un dialogue dans “un climat de confiance et d'amitié”. L'ancien ministre de l'Intérieur qualifiera le système colonial français d'“injuste” tout en excluant de présenter des excuses. “On ne peut pas demander aux fils de s'excuser des fautes des pères”, avait déclaré à ce moment-là le candidat de droite. “La France se veut tournée vers l'avenir commun”, dira Nicolas Sarkozy appelant à un “effort de compréhension réciproque”. Le candidat de droite s'adressant par écrit dernièrement au Comité de liaison des associations de rapatriés, harkis et pieds-noirs, aura un autre discours affirmant n'être “pas favorable à un traité d'amitié avec l'Algérie”. Plus explicite, Nicolas Sarkozy dira même que “nous devons aujourd'hui construire ensemble l'avenir, sans repentance, sans réécrire notre histoire avec l'Algérie”. Il refusera dans le même sillage que la France s'excuse pour son passé colonial. Certains y ont vu un appel du pied à un électorat d'extrême droite très susceptible au sujet de l'Algérie. Sa sortie relayée par la presse française nécessitera les explications de son proche entourage. Elle lui vaudra néanmoins l'appel des dirigeants harkis pour un vote communautaire en sa faveur. Certes le dossier des harkis est un problème franco-français mais qui suscite néanmoins une réactivité certaine à Alger. Immigration et visas Le dossier de l'immigration est un autre facteur de préoccupation. À ce sujet, les politiques prônées par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, hormis les discours caractéristiques de la droite et de la gauche, se rejoignent, les deux étant opposés à une régularisation massive des clandestins et souhaitant plutôt augmenter l'aide au développement pour les pays pauvres afin d'endiguer le flux migratoire. Pour Nicolas Sarkozy, la France doit opter pour une immigration choisie. Il y a nécessité, selon le candidat de droite, de créer un “ministère de l'Intégration et de l'Identité nationale” et de mettre des “restrictions” au regroupement familial. Ses propos lors de la crise des banlieues en France auront surtout choqué plus d'un. Ségolène Royal a prôné pour une politique d'immigration s'articulant autour d'une régularisation soit automatique à nouveau donnée après 10 ans passés en France, soit en fonction de la scolarisation des enfants et d'un contrat de travail. L'un tranchera par des propos sur le nationalisme français, l'autre appellera à un sursaut patriotique. Sur la question des visas, la candidate socialiste dira “reconnaître le légitime désir (des Algériens) de bénéficier de conditions de circulation et de séjour en France qui soient compatibles avec l'intensité des liens familiaux qu'ils y entretiennent” souhaitant “parallèlement que l'Algérie joue un rôle majeur dans le contrôle des flux migratoires”. Elle estimera même qu'une “relation renouvelée avec l'Algérie est inséparable d'une politique de respect à l'égard de la communauté algérienne vivant en France”. Nicolas Sarkozy lui met en avant l'assouplissement sous son égide des mesures de délivrance des visas aux Algériens avec la demande introduite par la France de levée de la consultation préalable des Etats membres de l'Union européenne. Politique extérieure S'il y a un grand absent de la campagne électorale en France, c'est bel et bien le débat autour de la politique étrangère. Les deux candidats s'inscriront dans la continuité et les grandes lignes de la politique extérieure de la France. Avec toutefois une caractéristique nouvelle. Une dynamique proaméricaine caractérise les discours de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy. Les deux ayant des positions assez proches et qui tendent à faire changer les priorités de la politique extérieure française. Certains y voient même un revirement éventuel dans la conduite de la politique extérieure de la France vis-à-vis du monde arabe. Les deux candidats envoyant des signaux parfois contradictoires. Nicolas Sarkozy a marqué de son empreinte ce revirement en ne cachant pas son admiration pour le modèle américain, sa position sur l'Irak ou encore Israël. On lui colle dans ce cadre une réputation de “pro-israélien”. Ségolène Royal, quant à elle, a plutôt surfé sur les vagues de la politique tracé par François Mitterrand et Jacques Chirac, en coupant la poire en deux. D'un côté, elle ménagera les susceptibilités du monde arabe et de l'autre, elle courtisera également les Israéliens lors de son voyage au Liban et en Israël. Il faudra attendre encore pour connaître la réelle teneur de la future politique extérieure de la France, même si certains commentateurs y voient déjà une rupture certaine avec celle de l'actuel président français. Pour l'heure, il est impossible de connaître les intentions de vote d'une communauté qui ne brille pas particulièrement par un taux de participation important. Quel que soit le choix qui sera pris. Chacun attendant les débats qui caractériseront dans les prochains jours la campagne électorale et surtout la confrontation Sarkozy-Royal qui permettra peut-être de trancher réellement entre deux candidats ayant des positions parfois très proches. Samar Smati