Depuis que les taliban sont au pouvoir en Afghanistan rien ne va plus. «À toutes les communautés cinématographiques du monde et qui aiment le film et le cinéma!», c'est à cette frange de la population que la réalisatrice afghane Sahraa Karimi s'adresse en premier, dans sa lettre ouverte, comptant sur leur impact en lançant son feu de détresse. Dans un communiqué daté du 16 aout, d'emblée, Sahraa Karimi se présente en expliquant les raisons de sa lettre : «Je m'appelle Sahraa Karimi, réalisatrice de cinéma et actuelle directrice générale du film afghan, la seule société de cinéma déclarée établie en 1968. Je vous écris avec un coeur brisé et un espoir profond que vous puissiez vous joindre à moi pour protéger nos personnes, en particulier les cinéastes, des taliban.» Et de renchérir: « Au cours des dernières semaines, les taliban ont pris le contrôle de tant de provinces. Ils ont massacré notre peuple, ils ont kidnappé beaucoup d'enfants, ils ont vendu des filles comme des mariées à leurs hommes, ils ont tué une femme pour sa tenue,... ils ont torturé et tué l'un de nos comédiens, ils ont tué un de nos poètes historiens, ils ont assassiné le responsable de la culture et des médias au sein du gouvernement, ils ont assassiné des personnes affiliées au gouvernement, ils ont pendu certains de nos hommes publiquement, ils ont déplacé des centaines de milliers de familles. Les familles sont dans les camps à Kaboul après avoir fui ces provinces, et elles sont dans un état insalubre. Il y a des pillages dans les camps et des bébés qui meurent parce qu'ils n'ont pas de lait. C'est une crise humanitaire et pourtant, le monde est silencieux.» «Ce n'est pas juste» Très affectée, elle poursuit sa missive: «Nous nous sommes habitués à ce silence, pourtant nous savons que ce n'est pas juste. Nous savons que cette décision d'abandonner notre peuple est fausse, que ce retrait rapide des troupes est une trahison de notre peuple et tout ce que nous avons fait quand les Afghans ont gagné la guerre froide pour l'Ouest. Notre peuple a été oublié à l'époque, pliant aux sombres règles des taliban, et maintenant, après vingt ans d'immenses gains pour notre pays et surtout pour nos jeunes générations, tout pourrait être perdu à nouveau dans cet abandon.» Aussi, comme une bouée de sauvetage jetée à la mer, notre réalisatrice implore le monde à venir en aide à son peuple, tout en avouant ne pas comprendre ce silence qui entoure pourtant ce crime contre l'humanité. « Nous avons besoin de votre voix. Les médias, les gouvernements et les organisations humanitaires mondiales sont pratiquement silencieux comme si cet «accord de paix» avec les taliban était légitime. Ça n'a jamais été légitime. Les reconnaître leur a donné la confiance nécessaire pour revenir au pouvoir. Les taliban ont brutalisé notre peuple tout au long du processus de négociation.» Et de relever la menace qui pèse sur le monde des arts et les femmes à cause des taliban: « Tout ce dont j'ai entrepris si durement pour me construire en tant que cinéaste dans mon pays, risque de tomber à l'eau. Si les taliban prennent le dessus, ils vont interdire toute forme d' art. Moi et d'autres cinéastes pourraient être les prochaines cibles sur leur liste. Ils dépouilleront les droits des femmes, nous serons poussées dans l'ombre de nos maisons et nos voix, notre expression sera étouffée dans le silence.» Les femmes et les artistes comme cibles Elle en donne encore pour preuve: « Quand les taliban étaient au pouvoir, zéro fille était à l'école. Depuis, plus de 9 millions de filles afghanes sont à l'école. C'est incroyable, Herat, la troisième plus grande ville qui vient de tomber aux mains des taliban, avait près de 50% de femmes dans son université. Ce sont des gains incroyables que le monde connaît à peine. Au cours de ces quelques semaines, les taliban ont détruit beaucoup d'écoles et ,2 millions de filles sont obligées de quitter l'école à nouveau.» Affirmant rester dans son pays pour se battre, la réalisatrice estime néanmoins: « Mais je ne peux pas le faire seule. J'ai besoin d'alliés... S'il vous plaît, aidez-nous à faire en sorte que ce monde se soucie de ce qui se passe chez nous.» À bout, la réalisatrice continue à implorer les lecteurs et les professionnelles du 7eme art: «Aidez-nous s'il vous plaît en informant les médias les plus importants de vos pays de ce qui se passe ici en Afghanistan. Soyez nos voix à l'extérieur de l'Afghanistan. Si les taliban prennent le contrôle de Kaboul, nous n'aurons peut-être pas accès à Internet ni à aucun outil de communication. Veuillez engager vos cinéastes, artistes pour nous soutenir, pour être notre voix.» Et d'expliquer à nouveau: « Cette guerre n'est pas une guerre civile, c'est une guerre par procuration, c'est une guerre imposée et c'est le résultat de l'accord américain avec les taliban. S'il vous plaît autant que vous pouvez partager ce fait avec vos médias et écrivez sur nous sur vos réseaux sociaux.» Et de conclure dans un cri de détresse et de désespoir : «Le monde ne devrait pas nous tourner le dos. Nous avons besoin de votre soutien et de votre voix au nom des femmes afghanes, des enfants, des artistes et des cinéastes. Ce soutien serait la plus grande aide dont nous avons besoin en ce moment.» Partagé et relayé sur les réseaux sociaux, gageons que cet appel sera entendu!