Comment vivre dans un pays sans économie et sans vision d'avenir ? Zoom sur le long-métrage de Yosef Baraki, en compétition au 37e Festival international du film du Caire. Les taliban ne sont plus les maîtres de Kaboul, mais la ville ne sort toujours pas des décombres. La capitale afghane reste éloignée de la modernité malgré le bon vouloir des jeunes Afghans qui aspirent à avoir enfin un pays. Un pays à eux. Yosef Baraki, qui vit au Canada, est reparti dans son pays filmer une histoire qui lui tenait à cœur. Dans la réalité afghane, les drames quotidiens offrent des idées toutes prêtes aux scénaristes. Dans Mina Walking, long métrage en compétition officielle au 37e Festival international du film du Caire qui s'achève ce soir à l'Opéra du Caire, Yosef Baraki raconte sept jours de l'existence difficile de Mina. A peine âgée de 12 ans, Mina (Farzana Nawabi) s'occupe de son grand-père atteint d'Alzheimer (Hashmatullah Fanai), prépare à manger à son père, ravagé par la consommation d'héroïne, assure les travaux ménagers, tente de suivre des cours avec d'autres filles et gagne sa vie en revendant des produits pour femmes dans la rue. «A Kaboul, j'ai remarqué que beaucoup d'enfants faisaient de la vente à la sauvette dans les marchés. C'est le seul moyen pour eux de survivre. Certains d'entre eux n'ont connu que la rue, n'ont jamais vécu dans des maisons», a confié Yosef Baraki. Mina résiste à Omar (Qadir Aryaie) qui alimente le marché en produits de contrebande et en drogue. Elle est malmenée par son père qui se drogue à longueur de journée, lui et d'autres hommes assis dans des endroits clos. Comment vivre dans un pays sans économie et sans vision d'avenir ? Comment sortir de la pauvreté alors que les seigneurs de la guerre ont investi dans la destruction systématique de l'Afghanistan ? Homme brisé Yosef Baraki braque une lumière presque aveuglante sur l'Afghanistan d'aujourd'hui à travers le personnage de Mina qui ne cesse de marcher, d'où le titre. Elle marche pour changer sa vie, veut apprendre la couture, affronte le monde des garçons, pousse son père à abandonner sa situation d'homme brisé, fait tout pour que la maison ne soit pas livrée à l'anarchie. Elle est tout le temps en mouvement. Yosef Baraki, qui a fait appel à une équipe réduite pour tourner à Kaboul et qui a utilisé de petites caméras, a su capter l'énergie que Mina dégage. Elle croit à la possibilité d'un monde meilleur, fait tout pour changer son vécu, n'accepte pas la défaite. Lacérée par la guerre, mise sous pression par les violences, écrasée par la pauvreté, la société afghane a perdu ses valeurs de solidarité. La méfiance du voisin s'est installée. Autant que l'égoïsme collectif. Tout cela est suggéré par cette scène où Mina implore les hommes de venir assurer l'inhumation de son grand-père. Elle frappe aux portes des voisins. Sa quête est devenue difficile, compliquée. Même la mort s'est banalisée. Il est question d'élections dans le film. Quelles élections ? Yosef Baraki n'a pas voulu trop s'intéresser à cela comme pour suggérer que la transition démocratique est encore loin faute d'institutions construites, de cohésion interne et de projet national fédérateur. La présence militaire étrangère ne facilite pas les choses aussi. Mais, ce n'est pas le propos du long métrage. Défaite D'ailleurs, Yosef Baraki, qui a pris d'énormes risques à tourner dans les rues de Kaboul, refuse toute idée politique derrière ce film. Il a rappelé, lors du débat qui a suivi la projection fort applaudie par le public, que malgré tout la situation évolue positivement en Afghanistan. «Les enfants vont de plus en plus à l'école. Et les filles n'ont pas beaucoup de difficultés pour rejoindre les classes. Certaines d'entre elles travaillent pour aller à l'université», a-t-il dit. Donc, Mina n'est pas Malala Yousafzai, la jeune Pakistanaise de la vallée du Swat dont la lutte pour l'éducation des filles est mondialement connue. Avec son foulard bleu, Mina mène un combat interne, notamment contre son père qui symbolise la défaite douloureuse de l'homme afghan. En dehors de la maison, Mina est en foulard blanc pour affronter; parfois sans le vouloir, le monde extérieur. Mina ne cède pas. Un grand pas. Et c'est à peu près ce qu'a voulu dire Yosef Baraki, 26 ans, dans un film émouvant et incroyablement humain. La réalisation est simple et puissante à la fois. Le scénario est limpide. Le réalisme qui se dégage de chaque image n'est pas artificiel. Les comédiens non professionnels ont été bien menés par le jeune cinéaste qui a su exploiter leur côté spontané. Mina Walking» est le genre de film à imposer le débat sur sa teneur et forcer le respect par rapport à sa valeur artistique. Contre toute attente, Mina Walking a été projeté en salle à Kaboul. Ce qui est déjà une autre victoire symbolique sur l'immobilisme et l'inculture. «En Afghanistan, des militantes ont fait du porte-à-porte pour que les femmes aillent voter. Elles ont réussi à faire élire des femmes au Parlement. Leur combat n'a malheureusement pas été mis en valeur. Les médias mondiaux ne s'intéressent qu'à la guerre et à la politique dans cette région du monde», a regretté Yosef Baraki qui a parfaitement compris que le cinéma aide aussi à ouvrir les fenêtres fermées, ôter le voile sur ce qui est caché, et exprimer l'attachement à sa culture. Yosef Baraki, qui a étudié le septième art à Toronto et qui adore le cinéma de Abbas Kiarostami et les frères Dardenne, s'est fait connaître par son court métrage Der Kandidat qui raconte l'histoire d'un membre de la jeunesse hitlérienne des années 1930. En plus d'être cinéaste, Yosef Baraki est scénariste, cameraman et directeur photos. Il est souvent appuyé dans ses projets cinématographiques par le producteur canadien Andrew Korogyi.