La prise de Kaboul par l'organisation intégriste a suscité une vague d'émotion à l'échelle internationale. L'inquiétude pour le sort des femmes afghanes est d'autant plus grande qu'elles sont au centre de la politique moyenâgeuse des Talibans. Des images apocalyptiques circulent depuis deux jours sur Internet, montrant d'une part des hommes enturbannés et lourdement armés envahir les rues et les bâtiments officiels de Kaboul, et d'autre part des Afghans se bousculer à l'aéroport en s'accrochant aux avions américains sur le point de décoller. Des images à forte dominante masculine ; et pourtant, ce sont les femmes, cibles ontologiques de cette organisation intégriste, qui ont le plus à craindre de ce retour en force des Talibans. Au-delà de l'émotivité hypocrite des politiciens occidentaux, le drame annoncé pour les Afghanes est bien réel, d'autant plus que la courte parenthèse de ces dernières années ayant permis à certaines d'entre elles de reprendre une place dans la société, doit attiser la haine et l'esprit vengeur des Talibans. C'est en tout cas une certitude pour plusieurs femmes s'exprimant sur les réseaux sociaux, notamment des artistes qui ne se font aucune illusion sur leur sort une fois entre les mains des Talibans. Parmi elles, la street-artist Shamsia Hassani, 33 ans et déjà mondialement connue pour ses graffitis et son engagement en faveur d'une renaissance culturelle et d'une émancipation des femmes dans son pays. Née en 1988 à Téhéran, elle retourne à Kaboul en 2005 pour étudier l'art traditionnel, occupe ensuite la chaire de professeure agrégée en sculpture à l'université de la capitale. Ses œuvres sont régulièrement exposées en Afghanistan, Inde, Italie, Suisse, Allemagne, etc. Elle y évoque les années de guerre et la souffrance des femmes, dans un style épuré et subtil qui rejette tout misérabilisme. Depuis la prise de Kaboul, Shamsia est l'une des femmes les plus menacées dans l'immédiat : elle est en effet en tête de liste des personnes à abattre par les Talibans non seulement pour son statut de femme publique mais aussi pour le contenu politique de ses œuvres. Pour sa part, la réalisatrice afghane Sahraa Karimi, également directrice du Centre national du film, a lancé un SOS à la communauté cinématographique et s'est exprimé sur la gravité de la situation dans des vidéos publiés sur les réseaux sociaux. « Je vous écris avec un cœur brisé et un espoir profond que vous puissiez vous joindre à moi pour protéger les belles personnes, en particulier les cinéastes des Talibans. Au cours des dernières semaines, les Talibans ont pris le contrôle de tant de provinces. Ils ont massacré notre peuple, ils ont kidnappé beaucoup d'enfants, ils ont vendu des filles comme des mariées à leurs hommes, ils ont tué une femme pour sa tenue, ils ont crevé les yeux d'une autre, ils ont torturé et tué l'un de nos comédiens adorés, ils ont tué un de nos poètes historiens, ils ont assassiné le chef du service culture et médias, ils ont assassiné des personnes affiliées au gouvernement, ils ont pendu certains de nos hommes publiquement, ils ont déplacé des centaines de milliers de familles. Les familles sont dans les camps à Kaboul après avoir fui ces provinces, et elles vivent dans une totale insalubrité. Il y a des pillages dans les camps et des bébés qui meurent parce qu'ils n'ont pas de lait. C'est une crise humanitaire, et pourtant le monde est silencieux. Cette guerre n'est pas une guerre civile, c'est une guerre par procuration, c'est une guerre imposée et c'est le résultat de l'accord américain avec les Talibans. Le monde ne devrait pas nous tourner le dos. Nous avons besoin de votre soutien et de votre voix au nom des femmes afghanes, des enfants, des artistes et des cinéastes. Ce soutien serait la plus grande aide dont nous avons besoin en ce moment », lit-on sur une longue déclaration publiée par la cinéaste. S. H.