L'archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu, icône de la lutte contre l'apartheid et prix Nobel de la Paix, est décédé dimanche à l'âge de 90 ans, a annoncé le président Cyril Ramaphosa. Le président exprime «au nom de tous les Sud-Africains, sa profonde tristesse suite au décès, ce dimanche» de cette figure essentielle de l'histoire sud-africaine, dans un communiqué. «Le décès de l'archevêque émérite Desmond Tutu est un nouveau chapitre de deuil dans l'adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée», a ajouté le président. «Un homme d'une intelligence extraordinaire, intègre et invincible contre les forces de l'apartheid, il était aussi tendre et vulnérable dans sa compassion pour ceux qui avaient souffert de l'oppression, de l'injustice et de la violence sous l'apartheid, et pour les opprimés et pour les oppresseurs du monde entier», a ajouté M. Ramaphosa. The Arch, comme il était surnommé par les Sud-Africains était affaibli depuis plusieurs mois. Il ne parlait plus en public mais saluait toujours les caméras présentes à chacun de ses déplacements, sourire ou regard malicieux, lors de son vaccin contre le Covid dans un hôpital ou lors de l'office au Cap pour célébrer ses 90 ans en octobre. Il était un rire, une énergie et surtout une conscience. L'ancien archevêque sud-africain est décédé, au terme d'une vie de combat, d'abord contre l'apartheid puis pour la réconciliation de son pays et la défense des droits de l'homme. Jusqu'à son dernier souffle, le prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette ronde et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs, quels qu'ils soient. S'ils ont inspiré les foules, les engagements de Desmond Tutu ont aussi beaucoup irrité. Même son ami Nelson Mandela n'a pas échappé à ses foudres. A son arrivée au pouvoir en 1994, Tutu a reproché à son Congrès national africain (ANC) une mentalité de «profiteur». Ses convictions étaient fermes, mais «the Arch» les a toujours défendues avec une joyeuse exubérance. Volontiers blagueur, y compris à ses dépens, il n'hésitait pas à agrémenter ses harangues de quelques pas de danse et d'un rire proche du gloussement devenu sa marque de fabrique. Desmond Tutu a acquis sa notoriété aux pires heures du régime raciste de l'apartheid. Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria. Seule sa robe lui épargnera la prison. Son combat non-violent est couronné du prix Nobel de la paix en 1984. A l'avènement de la démocratie dix ans plus tard, celui qui a donné à l'Afrique du Sud le surnom de «Nation arc-en-ciel» préside la Commission vérité et réconciliation (TRC) qui, espère-t-il, doit permettre au pays de tourner la page de la haine raciale. «Je marche sur des nuages. C'est un sentiment incroyable, comme de tomber amoureux», confie-t-il. «Nous, Sud-Africains, allons devenir le peuple arc-en-ciel du monde». Ses espoirs sont vite déçus. La majorité noire a acquis le droit de vote, mais reste largement pauvre. Fidèle à ses engagements, le «curé» du Cap devient alors le pourfendeur des dérives du gouvernement de l'ANC, à commencer par les errements de l'ancien président Thabo Mbeki dans la lutte contre le sida. En 2013, il promet même de ne plus jamais voter pour le parti qui a triomphé de l'apartheid. «Je n'ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d'autres qui pensent en être aussi», déplore Tutu. Inlassable militant de l'unité raciale, il ne craint pas en 2011 de proposer une taxe sur la richesse des seuls Blancs pour corriger les inégalités. «Ils ont profité de l'apartheid», plaide-t-il. A l'étranger, on le voit aussi sur tous les théâtres de conflits, RDCongo, Soudan, Kenya ou Palestine. Il appelle à juger les dirigeants occidentaux pour la guerre en Irak. Chemin faisant, il gagne le coeur de nombreuses personnalités. Nelson Mandela en faisait même un saint. Desmond Tutu est né le 7 octobre 1931 dans l'anonymat de Klerksdorp, petite cité minière au sud-ouest de Johannesburg. Enfant, il souffre de poliomyélite. Marqué par cette expérience, il veut devenir médecin mais y renonce faute de moyens. Il sera enseignant, avant de démissionner pour protester contre l'éducation de moindre qualité réservée aux Noirs et d'entrer au séminaire.