Deux ans de prison ferme ont été requis, hier, contre six responsables de l'opposition incarcérés au Tchad et poursuivis notamment pour «troubles à l'ordre public» après une manifestation émaillée d'incidents le 14 mai contre la France, qu'ils accusent de soutenir la junte militaire au pouvoir. Sept stations d'essence du groupe pétrolier français Total avaient été vandalisées et 12 policiers blessés durant cette marche de protestation, autorisée par les autorités, contre la France, ancienne puissance coloniale, et sa présence militaires. «Nous avons requis deux ans de prison ferme et 100 000 francs CFA d'amende pour chacun», environ 150 euros, a déclaré Moussa Wade Djibrine, procureur de la République. Le procès s'est ouvert hier à Moussoro, à environ 300 km de la capitale N'Djamena, pour Max Loalngar, coordinateur de Wakit Tamma, la principale coalition de l'opposition, Gounoung Vaima Gan-Fare, secrétaire général de l'Union des Syndicats du Tchad (UST), Youssouf Korom Ahmat, secrétaire général du Syndicat des commerçants fournisseurs tchadiens, Massar Hissene Massar, président du Rassemblement des Cadres de la société civile, Koudé Mbainassem, président de l'Association pour la Liberté d'expression et Allamine Adoudou Khatir, ancien ambassadeur. Arrêtés quelques jours après la manifestation, ils sont jugés pour «attroupement ayant causé des troubles à l'ordre public, atteinte à l'intégrité corporelle de personnes, incendie et destruction de biens». Le délibéré était attendu, hier, en fin de journée. «Nous verrons bien si le tribunal est indépendant pour suivre ou non les réquisitions», a réagi Me Djerandi Laguerre, avocat de Wakit Tamma. Les avocats de la défense ont boycotté l'audience, qui s'est tenue avec une forte présence policière. Wakit Tamma considère qu'ils ont été arrêtés à tort pour des «actes de vandalisme» commis par d'autres en marge ou après la manifestation. Le 4 juin, l'ordre des avocats du Tchad avait appelé à ce que «des actes forts soient posés dans le sens de l'apaisement du climat social» avec la «libération des personnes détenues, parmi lesquelles deux avocats». Des syndicats, partis politiques d'opposition et ONG internationales ont réclamé la libération «immédiate et sans condition» des opposants, quand le gouvernement a appelé la justice à faire son travail dans une «procédure judiciaire classique». Les six militants arrêtés ont entamé depuis le 23 mai une grève de la faim. Le 21 mai, les principaux mouvements rebelles ont également exigé leur «libération immédiate et sans condition», affirmant que ces interpellations «ne favorisent pas un climat serein pour la poursuite des négociations de paix» entamées il y a trois mois à Doha entre les innombrables groupes armés tchadiens et le pouvoir. Ce procès compromet la tenue du dialogue inclusif, censé réconcilier les Tchadiens après les 30 ans de règne d'Idriss Déby Itno sur un pays théâtre de multiples rébellions. À la mort de l'ancien président, tué au front contre des rebelles il y a plus d'un an, son fils le général Mahamat Idriss Déby Itno avait repris les rênes du pays à la tête d'un groupe de 15 généraux, aussitôt adoubé par la communauté internationale, Paris en tête. Mahamat Idriss Déby avait alors dissous le Parlement, congédié le gouvernement et abrogé la Constitution, tout en promettant des «élections libres et démocratiques» dans un délai de 18 mois au terme d'un dialogue national entre la junte, les groupes armés et l'opposition. Depuis, ce forum qui doit réunir toutes les oppositions politiques et armées selon le chef de l'Etat, n'a pas pu démarrer, les groupes armés ne parvenant pas à s'entendre avec la junte dans le cadre d'un «pré-dialogue» à Doha et l'opposition politique s'étant retirée de son organisation.