La Tunisie s'est réveillée groggy, dimanche matin, au lendemain des législatives qui ont accusé un taux de participation inédit d'à peine 9% des inscrits pour un scrutin déterminant en terme de légitimité des institutions majeures du pays. Les explications vont bon train mais, au final, il apparaît que l'une des raisons majeures de la désaffection de l'électorat résulte du fait que ces élections ont été caractérisées par l'absence d'un quelconque débat, tout au long d'une campagne morose. En outre, la majorité des 1055 candidats étaient inconnus et sans ancrage partisan, de sorte que les électeurs ne savaient pas exactement à quoi s'en tenir en ce qui concerne la suite des évènements. 12% d'entre eux seulement sont des femmes, ce qui constitue également un score inédit dans un pays qui se targue d'être à l'avant-garde du Monde arabe en matière d'égalité des droits. La presque totalité des formations politiques avaient, quant à elles, appelé depuis des mois au boycott du scrutin dont elles contestent le bien-fondé et refusent la stratégie de marginalisation. De plus, elles soulignent à qui veut les entendre que la nouvelle Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) sera dépourvue de réels pouvoirs, contrairement à celles qui la précédaient depuis la révolution de 2011. Outre le fait qu'elle ne pourra pas destituer le président, il lui sera difficile d'adopter une motion de censure du prochain gouvernement investi par le chef de l'Etat Kaïs Saïed. Les partis d'obédience islamiste sont regroupés autour du mouvement Ennahdha que dirige Rached Ghannouchi, président du Parlement gelé puis dissous par le président Saïed, dans un Front du Salut National et ils dénoncent sans relâche une «dérive autoritaire» de celui-ci. Il est clair que ce résultat constitue une énorme déception pour le président tunisien qui se réclame sans cesse de la volonté populaire et brandit à ce titre les plus de 70% de suffrages qui l'ont porté en octobre 2019 à la tête du pays, loin devant son concurrent. Il aura, certes, tenté de mobiliser les foules, inaugurant des tronçons routiers et confortant des quartiers pauvres, tout autour de la capitale, mais ses détracteurs ont vite conclu que le résultat des législatives traduit «l'effondrement» de cette légitimité. Comme le FSN, le parti destourien libre de Abir Moussi réclame le départ du chef de l'Etat mais, en réalité, il n'existe aucun mécanisme pour l'y contraindre.Droit dans ses bottes, le président Saïed écarte l'idée même d'un échec et continue son programme d'action tel qu'il le professait durant la campagne pour la présidentielle en 2019. À ses yeux, le score des législatives est marginal et n'influence en rien sa stratégie de mutation du pouvoir pour en finir avec les dérives depuis 2014. En sa faveur, il y a le fait que la majorité des Tunisiens attribuent à la coalition islamiste et surtout à Ennahdha, majorité au pouvoir durant dix années, les déboires économiques et sociaux de la Tunisie. Les manifestations organisées pour dénoncer la politique du chef de l'Etat se sont toutes révélées poussives et sans la moindre conséquence au plan politique, la gauche et le PDL jouant leur propre partition. Reste la puissante UGTT qui n'a, a priori, aucun intérêt à une déstabilisation du pays, surtout en cette période de pénuries et de risque sécuritaire. Les Etats-Unis ont estimé, hier, que les législatives ont constitué «un premier pas essentiel vers la restauration de la trajectoire démocratique du pays». Compte tenu de la géostratégie qui caractérise l'ensemble de la région sahélo-maghrébine, l'Algérie qui n'a jamais ménagé son soutien sur tous les plans au peuple frère et voisin, attache la plus grande importance à sa stabilité et sa sécurité, coûte que coûte.