Désigné dimanche soir par le président Kaïs Saïed pour former le nouveau gouvernement tunisien, Hichem Mechichi doit constituer dans un délai d'un mois maximum son équipe puis passer par le vote de validation de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Le chef de l'Etat a, de nouveau, surpris son monde, et, plus particulièrement, les partis politiques tunisiens, en jetant son dévolu sur son ancien conseiller aux affaires juridiques, entré comme ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Elyas Fakhfakh. Ce technocrate, juriste de formation, n'a figuré sur aucune des listes proposées par les dix formations qui comptent au sein de l'ARP et dont il apparaît, en définitive, qu'elles n'ont été réclamées par le président Saïed que pour satisfaire aux règles édictées par la Constitution. Sans ancrage ni expérience politique probante, il aura bien du mal à obtenir l'aval de partis tels que Ennahdha (54 députés sur les 217 du Parlement), Qalb Tounes (27 députés sur 38, au départ) ou El Karama (19 députés). Face à ces dernières, le front démocratique composé du Parti destourien libre (PDL-16 députés) de Abir Moussi, Tahya Tounes (11 députés sur 14) de l'ancien chef du gouvernement Youssef Chahed, et ce qu'il reste de Nidaa Tounes (3 députés) ne suffirait pas à assurer une majorité parlementaire pour l'équipe Mechichi, même si telle serait leur volonté alors que la situation équivoque du pays ne fait qu'exacerber les rivalités et les mécontentements. Fonctionnaire jusqu'au bout des ongles, l'ancien chef de cabinet aux ministères du Transport, des Affaires sociales et de la Santé n'a pas droit à l'erreur, contrairement à ses deux prédécesseurs, car il lui faut impérativement réussir le pari d'un gouvernement consensuel d'ici le 23 août prochain, faute de quoi il ne restera plus au président Kaïs Saïed qu'à prononcer la dissolution de l'actuel Parlement et à convoquer de nouvelles élections législatives, dans les trois mois qui suivent, c'est-à-dire avant la fin 2020! Un scénario plutôt catastrophique pour un pays qui va vivre l'année la plus stérile depuis 2011, compte tenu de la propagation du nouveau coronavirus et de son impact sur l'économie, en général, et le tourisme, en particulier. On peut imaginer, sans trop de peine, que Kaïs Saïed serait ravi de renvoyer tout ce beau monde politicien aux urnes, histoire de démêler le vrai du faux et de se débarrasser, éventuellement, de tous ceux qui le gênent aux entournures. Que ce soit le parti islamiste Ennahdha, dont le chef Rached Ghannouchi n'a pas cessé d'empiéter sur ses prérogatives régaliennes, en matière de politique étrangère surtout, ou qu'il s'agisse des élus accusés, à tort ou à raison, de tremper dans la corruption, le chef de l'Etat cherche un moyen de parvenir à une décantation qui lui offrirait des coudées franches, avec un gouvernement conforme à ses voeux. Une véritable remise en cause serait ainsi opérée, grâce à laquelle le pays sortirait de l'ornière actuelle, avec un Parlement gravement fragmenté. La désignation de Hichem Mechichi est intervenue le jour du 63ème anniversaire de la République tunisienne, née en 1957, ainsi que celui de la 1ère commémoration du décès de Béji Caïd Essebsi, mort quelques mois seulement avant la fin de son mandat, à l'âge de 92 ans. Il prend le relais d'Elyes Fakhfakh, ébranlé par l'affaire de conflit d'intérêt et pris dans les filets de la formation islamiste Ennahdha, qui a lancé une motion de défiance contre lui. Face à une ARP émiettée, dans laquelle les partis de grande et de petite envergure sont à couteaux tirés, il va lui falloir survoler les chocs violents entre les deux blocs antagonistes, en attendant de savoir quelle va être l'issue, jeudi prochain, de la motion de retrait de confiance tentée par le PDL contre Rached Ghannouchi. D'ici là, le message de Kaïs Saïed qui met en garde contre une situation de «chaos» au sein de l'ARP avec un «blocage des travaux d'une institution constitutionnelle» aura le temps de maturation nécessaire, le président tunisien ayant déjà tiré la sonnette d'alarme: «Je ne vais pas rester les bras croisés devant la chute des institutions de l'Etat», a-t-il promis...