Les autorités tunisiennes ont arrêté lundi soir le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, Rached Ghannouchi, un des principaux opposants au président Kaïs Saïed. Ghannouchi, 81 ans, qui dirigeait le Parlement, dissous le 25 juillet 2021 par Saïed, est devenu depuis le chef de file d'une opposition manifeste au chef de l'Etat, rassemblée dans un Front de salut national (FSN) dont le ministère de l'Intérieur vient d'interdire hier toute réunion et conférences de presse. Cette coalition de partis en majorité islamistes a été constituée le 31 mai 2022, et elle réunit 6 formations dont la principale reste Ennahdha. On y trouve Au coeur de la Tunisie, la Coalition al-Karama (Dignité), le Harak Tounes Al Irada, le parti Al Amal, le parti Action et Accomplissement, sans compter l'ONG Citoyens Contre le coup d'Etat. Selon le communiqué du ministère de l'Intérieur, des dépassements multiples sont à la source de cette mesure qui découle du décret 50-1978 relatif à l'état d'urgence que le président Kaïs Saïed a récemment prorogé jusqu'au 31 décembre 2023. Cette arrestation, intervenue dans la soirée de lundi, résulte de déclarations rapportées par les médias locaux et étrangers dans lesquelles Rached Ghannouchi a averti, durant le week-end, que la Tunisie plongerait «dans la guerre civile» au cas où l'islam politique se verrait écarté. Le motif a été confirmé par les autorités tunisiennes qui indiquent qu'un mandat d'arrêt a été délivré par le ministère public. Hier soir, on apprenait que Ghannouchi a été hospitalisé, suite à un malaise, mais qu'il reste en détention aux fins de l'enquête en cours sur sa déclaration, sa maison et le siège du parti ayant fait l'objet de perquisitions. Interpellé à plusieurs reprises au cours des derniers mois, il est en butte aux enquêtes du pôle judiciaire antiterroriste pour l'envoi présumé de combattants en Syrie et en Iran au sein des groupes extrémistes ainsi qu'à des soupçons de corruption et blanchiment d'argent liés à des transferts de fonds depuis l'étranger vers une organisation caritative affiliée à Ennahdha. Depuis trois mois, les autorités ont procédé à l'arrestation d'une vingtaine de membres du FSN et d'autres personnalités dont d'ex-ministres, des hommes d'affaires et le propriétaire de la radio Mosaïque FM. Ces personnes sont pour la plupart poursuivis pour «complot contre la sûreté de l'Etat». Rached Ghannouchi qui était à ses débuts proche des Frères musulmans s'est peu à peu rapproché du courant islamiste de l'AKP turque que dirige le président Recep Tayyip Erdogan. En 2016, il a choisi de convertir Ennahdha en un mouvement «civil» investi totalement dans la politique pour défendre les valeurs conservatrices sans dogmatisme. Mais très vite, il s'est heurté à Kaïs Saïed qui, sitôt élu, a mené une lutte implacable contre les partis qu'il accuse d'avoir mené le pays au désastre. Ennahdha a «condamné fermement cette évolution très dangereuse», réclamant «la libération immédiate» de son leader et «la cessation de la répression des militants politiques opposants». On apprenait hier soir que trois autres figures du mouvement Ennahdha ont été également arrêtés durant la nuit du 17 au 18 avril 2023. Il s'agit de Belgacem Hassen, de Mohamed Goumani et de Mohamed Chniba, présents à la réunion du FSN au cours de laquelle Ghannouchi a fait sa déclaration.