Une semaine s'est écoulée…Une semaine depuis qu'ils sont partis, et l'on s'étonne qu'il ne soit rien resté de leur passage… Mirage donc, cette ville oasis, entourée d'une mer de sable doré ? Mirage ce professeur d'histoire et cet archéologue, pour qui Aïn Salah, à 1 200 km de Bouira, c'était avant tout un grand centre commercial qui l'empêchait de sombrer dans la torpeur ambiante ? Mirage, ses palais, ses oasis, ses rues où viennent battre ces vaguelettes de poussière sous la brise matinale, et dont il fut question pendant toute une semaine ? Or que reste-t-il concrètement de cette semaine où Äïn Salah fut au centre de toutes les manifestations culturelles (conférence, débats, danses, théâtre, expositions), de tout ce climat et de toute cette féerie qu'elles ont créé ? Beaucoup de choses que l'on ne croit. Même si on évitait de parler de guerres entre tribus, de la résistance farouche qui s'est organisée face à la pénétration française autour des palais, et en dehors ; même si on mettait de côté la vie de cette ville, longtemps maintenue au rang de commune et rattachée à une wilaya distante de plus de sept km, il resterait encore assez d'attraits et de mystère pour nous attacher à cette ville, brillant comme un diamant de ses mille facettes. Ne pouvant prétendre les embrasser toutes dans cette modeste contribution, nous avons procédé à un choix douloureux : aller à l'essentiel. Deux hommes, une passion commune L'un a l'amour de l'histoire ancienne. L'autre celui de l'archéologie. Le premier est donc historien. Le second, archéologue, et tous deux travaillent à enrichir de leurs travaux le musée du grand palais, situé au centre de Aïn Salah. Cet amour pour ces deux disciplines, s'est trouvé chez ces deux universitaires, augmenté de l'amour de leur ville. Les écouter parler d'elle, comme Abdelkader, le prof d'histoire, lors de sa conférence sur le patrimoine culturel de la ville qui nous a fait remonter le cours du temps jusqu'à l'ère des dinosaures et de leur extinction subite, ou comme Belkacem, à la Maison de la culture où avait lieu une exposition sur ce patrimoine, c'est accepter de se laisser envoûter par des récits qui tirent toute leur force de la magie du désert. Nous savons à quoi est dû le succès étourdissant des Mille et Une Nuits. Sans un mot de trop, sans emphase, sans cette hystérie lyrique qui s'empare parfois de certains grands orateurs, nos deux hommes se sont bornés à n'évoquer que les faits comme s'ils les avaient connus au moment où ils se produisaient et comme si le temps n'avait pas déposé sa patine qui déforme tout. Combien de temps sommes-nous restés à les écouter ? Est-ce que les heures existent, comparées au temps géologique ? Quand les deux hommes se sont tus, pensant avoir tout dit, il y a comme un regret pour l'auditoire. Est-ce tout ? Oui, c'était tout, mais quel enrichissement ! En quittant les deux spécialistes, nous avons le sentiment que Aïn Salah avait toujours fait partie de notre univers mental, qu'elle était même plus proche que beaucoup de villes ou villages connus. Quand nos hôtes d'une semaine annoncèrent leur départ, plus d'un sourcil avait dû se froncer. D'incompréhension ou d'étonnement. Déjà ? Une forêt de pierres Le mot n'est pas pris dans un sens métaphorique. Il reflète réellement une réalité, celle d'une forêt qui avait réellement existé, avec ses arbres, leurs branches, leurs feuilles, leurs racines, mais, disparus soudain, à la suite d'on ne sait quel cataclysme. Un peu comme ces monstres appelés dinosaures, emportés par l'énergie inquantifiable libérée par la rencontre terrifiante entre un grand météore et la Terre. De cette époque doit dater la même catastrophe qui bouleverse complètement notre planète. Le conférencier qui a dû en mesurer les dimensions estimait que ces arbres qui, en des temps immémoriaux, couvraient cette partie de notre territoire qui s'étendait de Faggaret Zoua à Aoulef, en passant par Aïn Salah, Inghar Hassi Gourra, Hassi Moumène, étaient des arbres géants. Ils atteignaient, selon lui, entre 50 et 60 m de haut et 15 à 25 m de large. Quand cela avait été dit à la bibliothèque principale qui avait abritait cette conférence sur Aïn Salah, plus d'un assistant avait roulait des yeux ronds comme des boules de Loto. Une forêt pétrifiée, est-ce que ce n'est pas un sujet de fiction ? Il fallait pourtant se rendre à l'évidence : ces arbres existent, cette forêt pétrifiée existe. « Je l'ai visitée, assurait Belkacem, l'archéologue que nous rencontrions le lendemain de cette conférence à la maison de la culture. « Au toucher, dur et froid, vous vous dites que c'est des pierres, mais à la vue, vous comprenez bien qu'il s'agit d'arbres. » ajoutait encore notre interlocuteur qui montrait, parmi l'exposition, une photo représentant un arbre pétrifié, comme si on l'avait abattu, puis, coupé en tronçons. L'archéologue repoussait le mot « fossilisé » comme impropre. Pour lui, cette forêt qui s'étend sur 180 km environ est la plus importante d'Algérie et d'Afrique. Ce lieu comme une main ouverte vers le sud, le Tidikelt serait interdit aux visiteurs. « C'est archi faux » , corrigeait l'archéologue. « Aucun site touristique n'est fermé devant le visiteur. Mais des guides formés par le parc national accompagnent partout les visiteurs pour les aider à mieux profiter de leur excursion et en même à ce que rien ne soit dégradé ou déplacé », précisera-t-il. Au temps des dinosaures Le Tadikelt, qui veut dire en targui paume de la main, était verte et grasse. Cela, ni Belkacem l'archéologue, ni Abdelkader le conférencier ne l'ont dit ou supposé. La chose allait d'elle-même. Les arbres abattus, on ne sait comment et conservés par un procédé tout aussi mystérieux. Dès lors s'explique clairement la présence des dinosaures dans un environnement fait pour eux : des arbres aussi hauts et aux troncs aussi épais qui leur permettaient de se fondre facilement dans la nature en cas de danger. Cette présence que l'on ne saurait remettre en cause est attestée par la découverte d'ossements signalés par une société pétrolière étrangère qui travaillait dans cette zone située à 35 km au nord de Aïn Salah. Les 450 fragments mis au jour lors de fouilles assez récentes sont exposés au musée du patrimoine culturel de Aïn Salah. A découvrir ! Comment les dinosaures étaient parvenus à Aïn Salah et y étant parvenus ? Il faut croire que la température n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, avec des pics de 50°. Le Tidikelt était alors une espèce d'Eden où toutes les conditions de vies étaient offertes. Il ne faut pas oublier que selon la croyance ancienne, la terre était plate. Autant dire qu'elle était illimitée. L'animal, avec ses instincts qui le projetaient tout le temps en avant, à la recherche de nourriture, changeait sans cesse d'endroit. Les dinosaures, arrivaient-ils du sud ? Etaient-ils partis du nord ? Toujours est-il que maintenant qu'ils y étaient, ils y sont restés. La preuve tangible est au parc du patrimoine de Aïn Salah. Et c'est sur la base d'une telle preuve que les deux chercheurs universitaires s'appuyaient pour nous convaincre que Aïn Salah n'avait pas été un désert comme il peut sembler aux plus communs d'entre nous, mais un Eden. Le paradis perdu Afin d'évoquer cette époque, l'archéologue utilisait le terme de protohistoire. C'est une époque charnière comprise entre la préhistoire et l'histoire proprement dite. L'homme, pour schématiser à l'excès, fatigué de cette ressemblance qui lui rappelait sans cesse qu'il descendait du singe, s'est débarrassé de tout ce qui pouvait raviver ce souvenir. Il se tenait droit, il parlait pour exprimer certains besoins ou certains sentiments, même le langage restait peu élaboré. Au plan technique, perçait timidement une forme d'industrie, celle dite de l'âge de la pierre taillée, caractérisée par des armes en silex, dites bifaces ou coups de poings. On vivait alors de la chasse et de la cueillette des fruits, mais s'amorçait déjà une tendance vers la sédentarisation. En art, les grottes servaient de supports. C'est à cette époque que nos deux chercheurs d'Aïn Salah, Abdelkader et Belkacem renvoyaient. Chacun à sa manière a parlé de bifaces ou coups de poings et mêmes de flèche et de peintures rupestres représentant des scènes de chasse. Des diapositives ont montré ce type d'armes en usage à cette époque lointaine de notre histoire, quand l'histoire tâtonnait et balbutiait encore. Disparus les dinosaures et l'écosystème qui les abritait, le Tidikelt devint par un long processus une plaine verdoyante et giboyeuse. L'homme après bien des échecs répétés dans sa tentative de conquérir le droit à la station debout, réfléchissait au moyen de tirer parti de cette prodigalité de la nature. L'homme prenait conscience de sa force et de la place qu'il occupait dans l'équilibre des écosystèmes où il intervenait en tant que prédateur grâce à ces armes, mais aussi en tant que membre d'un groupe donné. C'est ce que montrent ces peintures rupestres dans les grottes de Lmidir ou Mouidir, qui, en même temps qu'il annonce le massif du Tassili Arek, au sud, borne la plaine du Tidikelt. Ainsi, selon nos deux chercheurs, cette paume de la main comprise entre deux massifs, les Hauts Plateaux du Tadmaït au nord, et le Tassili-Arek au sud, après avoir été un pays de cocagne, une espèce d'El Dorado pour l'homme des grottes, prétend avoir conservé aujourd'hui quelque chose de ce passé « edénique » pour les habitants de Aïn Salah et de la dizaine de villages qui gravitent autour. Et à l'instar de leur chef lieu de wilaya, chaque village a son palais et sa palmeraie, nous dit Belkacem, l'archéologue. Donc, chaque village est une oasis, maintenu dans un état de verdure permanent au moyen d'un système d'irrigation ingénieux. Si ingénieux qu'il en est devenu unique. La date qui est la principale production y est abondante et fameuse. On en compte quatre vingt dix espèces. Cette vie de farniente dédiée presque exclusivement au repos, aux jeux, aux divertissements de toute sorte, au chant, à la poésie orienta insensiblement l'homme vers une activité jusque là ignorée de lui : les lettres. L'écriture tifinagh a longtemps servi de support à une pensée qui ne demandait qu'à s'affranchir de la pesanteur d'une vie dont la finalité lui échappait totalement. Les diapositives d'Abdelkader montrent quelques caractères de l'écriture Tifinagh dans les roches de ce massif. Mais montrent aussi des manuscrits en arabe dont on estime le nombre à 300 détenus par les gens aisés de Aïn Salah. Comme les tumulus Bazina, le trou de serrure, Shoshi et Croissant, sont autant de jalons posés sur le chemin de la connaissance de cette ville fascinante au cœur du désert.