L'écriture épique contenue dans l'Iliade algérienne est une réponse de la mémoire à l'histoire coloniale qui insistait sur la rupture avec le passé en mettant l'accent sur le manque d'homogénéité des populations algériennes. Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, les intellectuels algériens conscients de la place privilégiée prise par l'histoire en tant que discipline scientifique ont investi une énergie intense afin de revoir d'un oeil critique, l'historiographie coloniale ainsi que les principales thèses et doctrines qui la sous-tendent. Ils s'efforcent dans le même temps de reconstituer leur propre passé en dégageant tous les aspects déterminants susceptibles de réhabiliter la société algérienne, sa culture et son histoire longtemps dévalorisés et dénigrés dans les écrits des historiens de la colonisation. L'Iliade algérienne en tant qu'écriture épique de l'histoire s'inscrit dans ce contexte. Intrinsèquement subjective, l'Iliade algérienne appartient incontestablement au domaine de la littérature et de la narration. Cependant, placée dans une perspective historique, elle aurait pu générer un courant de recherche significatif dans ce domaine. Produit d'une conscience historique plus prononcée au lendemain de l'indépendance, revêtant un caractère épique indéniable, l'Iliade algérienne apparaît comme l'oeuvre d'un non-historien... Cette tâche était en fait accomplie par un poète dont la mémoire était sans cesse en éveil, prête à évoquer le passé glorieux des générations et la geste des faits accomplis. Il est donc permis de considérer l'Iliade algérienne comme une tentative destinée à conserver la souvenance des événements passées. Son nom est Moufdi Zakaria Cheikh né en 1908 à Béni Izguen dans la vallée de l'oued M'zab. Très tôt il quitta sa ville natale pour se rendre à Annaba, fréquenta l'école coranique, apprit le Coran et s'initia à la langue arabe. Après avoir terminé ses études primaires, il se rendit à Tunis où il s'inscrivit à plusieurs écoles et étudia également le français. Ses lectures abondantes dans les deux langues, arabe et française, lui permirent de s'enrichir intellectuellement, en s'ouvrant aux grands horizons de la pensée universelle et de la poésie moderne. Rentré en Algérie au début des années 30, il fonda une association du même nom que la précédente qui publia la revue Al Hayat. Accordant la primauté à l'action, il préféra le PPA au mouvement réformiste des Oulémas. Il devint l'ami et l'homme de confiance de Messali Hadj avec qui il partagea les geôles coloniales. Du fond de ses cellules, Moufdi Zakaria faisait parvenir ses poèmes nationalistes aux quelques journaux tunisiens. Imprégné de nationalisme algérien et maghrébin, il le glorifia, comme il glorifia la guerre de Libération nationale. C'est à Moufdi Zakaria qu'on doit le texte de l'hymne algérien Kassamen, des chants patriotiques et de l'Iliade algérienne. Moufdi Zakaria s'éteignit en 1977 comme une étoile dont la lumière continue de nous parvenir bien des années après. La poésie de Moufdi Zakaria fût consacrée à un idéal : l'appel à la résistance et à la mobilisation du peuple. L'Iliade algérienne quant à elle, fut consacrée à l'histoire épique de la résistance du peuple algérien. A défaut de pouvoir maîtriser les moyens du discours historique, le pouvoir politique algérien, pour célébrer le dixième anniversaire du recouvrement de l'indépendance de l'Algérien et à l'occasion de la tenue du sixième séminaire pour la pensée islamique, fit appel à la mise en oeuvre des ressources de la mémoire pour présenter sous forme épique l'histoire de l'Algérie depuis les temps les plus anciens en soulignant les thèmes de la résistance aux différentes invasions étrangères, l'essor des civilisations brillantes qu'a connues l'Algérie durant les périodes historiques successives tout en évoquant le présent et l'avenir. L'écriture épique contenue dans l'Iliade algérienne se veut une réponse de la mémoire à l'histoire coloniale et son idéologie qui insistait sur la rupture avec le passé en mettant l'accent sur le manque d'homogénéité des populations algériennes tout en valorisant la période latine et chrétienne et en dépréciant l'apport de la civilisation arabo-musulmane. L'écriture épique de l'histoire se veut aussi une réaction contre une conception unilatérale de l'histoire qui fait de l'Occident la référence noble. Dans ce contexte, l'Iliade algérienne opère un renversement de perspective et se déploie dans les souvenirs de la mémoire pour privilégier la continuité et idéaliser les rapports sociaux traditionnels. Pour cela, elle combine la nostalgie du passé et l'espoir révolutionnaire dans un monde nouveau tentant de consolider et d'exalter le sentiment national et l'appartenance à une ère civilisationnelle distincte au cours de la première décennie de l'indépendance. C'est toute la mémoire d'un peuple qui est exaltée par la mise en lumière de ses aspirations, de son enracinement au sol, son désir et son sens de la liberté inaliénable depuis les temps immémoriaux. L'Iliade algérienne en tant qu'écriture épique de l'histoire joue un rôle politique. Elle exprime l'idéologie dans laquelle vit et baigne la société algérienne, elle maintient dans sa conscience les valeurs qu'elle reconnaît et les idéaux qu'elle poursuit de génération en génération. Revendicative d'une identité plurielle et millénaire, elle est susceptible d'être remodelée et réinterprétée pour s'adapter aux circonstances. Grâce à elle les événements échappent à l'histoire et au singulier pour devenir immortels, éternels et atteindre l'universel. L'Iliade algérienne, oeuvre d'un militant nationaliste utilisant la science historique au service du combat politique, apparaît comme un champ clos où le sensible et l'intelligible s'affrontent, où l'essence sacrée de la nation algérienne s'efforce de triompher du mal dans un combat douloureux, ce qui lui confère un caractère puissamment dramatique rejoignant par là la poésie anti-islamique et particulièrement ce que l'on appelle communément «Ayyam El Arab» (jours des Arabes) où étaient consignés essentiellement les batailles et les raids ayant eu lieu avant l'avènement de l'Islam. Expression d'événements isolés et en même temps de vérités communes à tous, l'Iliade apparaît comme une sorte de biographie généalogique, une histoire générale du peuple algérien et à la fois l'histoire d'une fraction de l'humanité.