Des milliers d'hectares équipés de canalisations et autres installations d'irrigation, sont en friche. Spectacle désolant! En allant des hautes plaines de Bordj Bou Arréridj jusqu'aux territoires d'El Kala, en passant par Sétif, Constantine, Skikda, Annaba et El Tarf, des milliers d'hectares de terres agricoles, s'étalant à perte de vue, ont été laissés en friche. Les parcelles retournées, sont à peine perceptibles, au milieu de la vaste étendue de terres non labourées. La sécheresse ayant sévi ces derniers mois, a, selon toute vraisemblance, dissuadé les fellahs de cultiver leurs terres. Rencontré aux alentours d'Aïn Arnat, à quelques encablures de Sétif, un paysan quinquagénaire enveloppé dans sa kechabia marron, a bien voulu nous éclairer: «Les cultivateurs ne peuvent pas s'aventurer en misant des dizaines de millions, quand la terre n'est pas arrosée à temps». Heureusement, ajoute notre interlocuteur, la saison labours- semailles, n'a pas atteint totalement son terme et les fellahs peuvent encore, en cette fin décembre, travailler leurs terres. Les cultures de blé et d'orge constituant, avec l'élevage ovin, l'essentiel de l'activité des paysans des hautes plaines, vont subir, cette année, un choc assez important, estime le paysan avec un ton presque plaintif. Ainsi, et dans de telles conditions climatiques marquées par la faiblesse et la mauvaise répartition des apports pluviométriques, l'irrigation s'impose comme unique solution pour garantir une production agricole régulière et en quantité suffisante. La superficie irriguée, actuellement, en Algérie, selon les chiffres avancés par le ministre de l'Agriculture, lors de son audience auprès du chef de l'Etat, est estimée à près de 800.000 hectares sur une superficie agricole utile (SAU), avoisinant les 8,7 millions d'hectares. Cela, après les 300.000 hectares recensés, seulement, en 1999. Des chiffres qui dénotent une importante avancée, mais qui reste, tout de même, insignifiante, comparée à la gravité de la menace climatique qui prend en otage l'activité agricole et par conséquent, l'avenir de tout le pays. A Safsaf, à une dizaine de kilomètres de Skikda, et comme c'est le cas pour les hautes plaines de Sétif et, de Bordj Bou Arréridj, des terres très fertiles si l'on considère la densité de la végétation, sont demeurées inexploitées. De vastes parcelles ont été abandonnées aux herbes sauvages, et ce, malgré l'équipement de plusieurs milliers d'hectares par des canalisations et autres installations d'irrigation. Le responsable du périmètre de Safsaf, dépendant de l'Office national d'irrigation et de drainage (Onid), nous a indiqué que les agriculteurs n'exploitent pas les installations que nous avons mis à leur service. Un fait résultant, avoue-t-il, du manque de confiance, intervenu à la suite de l'incapacité de notre office à satisfaire les besoins en eau des agriculteurs, pendant la période estivale. Période durant laquelle, le barrage de Zit-Emba alimentant le périmètre, se donne pour priorité, la satisfaction des besoins de la population en eau potable au détriment des besoins de l'agriculture qui atteignent leur apogée durant ce cycle de l'année. Aussi, selon notre interlocuteur, les agriculteurs qui ne payent pas leurs redevances à l'Onid, se trouvent le plus souvent dans l'obligation d'interrompre leur activité, quand ils ne se rabattent pas sur l'eau des oueds et des forages illicites. Il est à souligner, à cet effet, qu'outre la gestion, l'exploitation et l'entretien des réseaux d'irrigation, l'Onid s'occupe, également, de la commercialisation de l'eau agricole et de l'assistance technique de ses clients. Des tâches auxquelles on peut rajouter le rôle qu'il joue en tant qu'instrument de l'Etat, chargé de la mobilisation des ressources en eau. Il mobilise les eaux des forages, des prises d'oueds, des retenues collinaires et les divers ouvrages de captage, aux fins de les exploiter dans l'irrigation des terres agricoles. Toujours dans la wilaya de Skikda, nous avons assisté, sur place, à la réception de la première tranche d'un nouveau périmètre qui permettra d'irriguer 2500 hectares de terres agricoles dans la commune de Bekouche Lakhdar, située à une cinquantaine de kilomètres du chef-lieu de la wilaya. Cela, en attendant la réalisation de la 2e tranche devant assurer l'irrigation de quelque 4000 autres hectares. Cet important périmètre, dont l'approvisionnement en eau est assuré par le barrage de Zit-Emba, est de nature à donner un grand appui à l'économie de cette région à vocation agricole. Outre l'intensification des cultures et l'amélioration de leur rendement, ce projet réalisé par une société chinoise, permettra, par ailleurs, de créer un emploi direct et deux autres indirects pour chaque hectare. L'état de détérioration du secteur agricole est encore plus saillant à El Tarf, où se trouve Bounamoussa, l'un des plus grands périmètres d'irrigation du pays. Un constat des plus amers. Sur une superficie irrigable de 14.500 ha, seuls 3000 sont, effectivement, irrigués. La vétusté des équipements et des canalisations, le manque de coordination avec les irrigateurs, ajoutés à la banqueroute de l'industrie de la tomate, ont fini par asséner un coup fatal à cette infrastructure et, par voie de conséquence, à l'agriculture. Pourtant, la région ne souffre pas de problèmes liés à la pénurie d'eau, en raison de l'importance des précipitations enregistrées chaque année. A l'inverse des autres régions du pays souffrant de la sécheresse, les plaines d'El Tarf et d'Annaba sont plutôt exposées aux problèmes des inondations qui dévastent chaque année des milliers d'hectares cultivés. A Boutheldja, à une dizaine de kilomètres du chef-lieu d'El Tarf, des vignobles à perte de vue sont submergés par les eaux de pluie. Le même paysage, à la fois beau et désolant, est perceptible aux alentours du Lac des Oiseaux, où les volatiles aquatiques ont eu le bonheur de voir leur territoire s'étendre chaque hiver, au grand dam des fellahs de cette localité. Rencontrés tout près de l'oued Oum Saâd, les exploitants de ces terres inondées, n'ont pas trouvé de mots à la hauteur de leur drame. «Nous (les fellahs) sommes livrés à nous-mêmes et nous ne pouvons rien faire face à la crue de l'oued qui nous ruine chaque année», lance Si Lakhdar, avec amertume. «Je vais arrêter carrément ce métier», conclut-il, tout en montrant de ses mains rugueuses, la vaste plaine de vignobles, submergée par la crue de l'oued. Au moment de notre arrivée à Aïn Laâssel, sur la route d'El Kala, les équipes de Cosider étaient à pied d'oeuvre pour réaliser des digues et des drains afin d'empêcher l'inondation de ces grandes plaines. Des travaux que Cosider entreprend au compte de l'Onid, le maître de l'ouvrage de ce projet comprenant l'assainissement et le drainage de plusieurs milliers d'hectares. Les fruits de ces travaux sont là, perceptibles à celui qui veut les voir. Les parcelles dotées de drains et de digues, ont échappé aux inondations alors que les terres non assainies, ont été envahies par les eaux. Un hydraulicien présent sur les lieux, nous a confié que «les travaux de drainage et d'assainissement se font en été, et non pas en période d'hiver». Pour preuve, ajoute-il, «les travaux avancent à une cadence très lente et les dégâts que nous voyons, maintenant, auraient pu être évités, si le projet avait été réalisé à temps». Renseignement pris, il s'est avéré que le retard est dû aux lenteurs marquant l'indemnisation des fellahs, dont les cultures ont été endommagées par les travaux. Un fait qui a poussé les agriculteurs à empêcher Cosider de faire son travail, bien qu'ils sachent que le projet permettra de protéger leurs terres contre les crues et les inondations. Il faut dire que ces travaux de drainage constituent la première phase précédant la réalisation d'un périmètre d'irrigation devant équiper plus de 12.000 ha. A l'échelle nationale et selon des études menées par l'Agence nationale des ressources hydrauliques, les potentialités en sol irrigable de bonne qualité, dépassent 1,5 million d'hectares, mais la superficie qui a été irriguée, ne dépasse pas les 5%. Une superficie de production agricole en irriguée insignifiante qui assure néanmoins près de 50% de la valeur totale des produits agricoles. L'Onid qui a remplacé en 2005, l'Agid, (Agence nationale de réalisation et de réaménagement des infrastructures hydrauliques pour l'irrigation et le drainage), exploite, actuellement, 15 périmètres totalisant une superficie équipée de 178.000 ha. La superficie irrigable est de l'ordre de 70% de la superficie équipée, soit 124.000 ha. La moyenne des superficies réellement irriguées pendant les 20 dernières années, selon la même source, n'a pas dépassé les 40.000 ha. S'agissant des ressources en eau, sur une potentialité de 12,5 milliards de mètres cubes mobilisables, moins de 50%, seulement, sont mobilisés. Les différents plans nationaux de développement prévoient l'irrigation, d'ici à 2025, de près de 1 million d'hectares, dont 40% en grands périmètres. Engendré, en premier lieu, par la sécheresse qui frappait le pays depuis plus de deux décennies, cet état de fait est aggravé par la panoplie de dysfonctionnements qui caractérisent la gestion, l'exploitation et la maintenance des infrastructures hydrauliques.