Feraoun décrit avec des mots justes, sincères et combien touchants les affres des populations. Le 15 mars 1962, la nouvelle tombe. Les télescripteurs des agences d'information donnaient l'horrible nouvelle: Mouloud Feraoun, l'écrivain de talent et l'instituteur des pauvres, venait de tomber sous les balles assassines en compagnie de ses camarades, victimes de la vindicte des bêtes féroces de l'OAS, au Château royal à Alger. La nouvelle avait bouleversé le monde, des enseignants de valeur et des êtres engagés aux côtés des gens qui souffrent et des êtres d'exception, ont été la proie de la vindicte et de la haine absurde. Feraoun cet humaniste «aussi bon que le bon pain», disaient de lui les personnalités de l'époque, est mort, et la Kabylie ainsi que toute l'Algérie perdaient en lui l'écrivain fécond et le pédagogue de valeur. Quarante-cinq années plus tard, le souvenir est encore vivace. La majeure partie de la génération ayant vécu la guerre d'indépendance, se souvient de cet homme debout celui-là qui, malgré l'adversité, avait réussi à tenir bon et à maintenir le cap, celui de la vérité et surtout cet enseignant qui, comme ces responsables aux centres sociaux, avait dédié, comme il l'avait toujours fait jusque-là, sa vie à l'enfance. Les autres, tous les autres, ont découvert Feraoun à travers Fouroulou ou Le fils du pauvre ou encore Les chemins qui montent et La terre et Le sang. Dans cette trilogie racontant la terre de Kabylie et la quotidienneté sous l'occupation, l'écrivain rapporte avec coeur, la souffrance et les petites joies de l'Algérie et des Algériens sous occupation. Instituteur à l'école de Taourirt-Moussa dans les Beni Douala puis de là, et après avoir passé une partie de sa vie de fonctionnaire à «panser» les blessures et surtout à essayer de hisser les petits bouts d'homme au stade d'homme en les outillant afin qu'ils puissent affronter la vie, le voici à Larbaâ Nath Irathen, au cours complémentaires notamment. Larbaâ est pour lui un endroit aussi dangereux qu'intéressant, car en tant que témoin de la guerre, il nous a légué dans Jours de Kabylie, de belles pages pleines d'amour pour cette terre et aussi pleines des soucis et des violences charriés par cette guerre qui était alors à son apogée. De là, les choses se sont imbriquées de telle façon qu'il lui fallait partir, aller vers cette ville où il pensait pouvoir se noyer dans la foule. Au Clos Salembier, Feraoun ne fut guère laissé en paix, il est vrai que le pays était en guerre et nul endroit n'est épargné. On le sollicitait de partout, on voulait le voir figurer dans des listes électorales de la troisième force et on lui promettait monts et vaux. Mais Feraoun a su garder la tête froide et, face à l'adversité, il a su maintenir le cap. Avec Emmanuel Roblès, un écrivain de talent avec lequel les liens d'amitié se sont tissés, Feraoun laissait parler son coeur. A travers notamment les quelques bribes de sa correspondance entretenue avec cet écrivain et en pleine guerre d'Algérie, Feraoun décrit avec des mots justes, sincères et combien touchants les affres des populations. La violence des temps avec les exactions de l'OAS notamment, et le comportement des colons alliés objectifs de l'armée d'occupation, ont été décrits avec justesse et surtout sans haine mais sans rien cacher. L'atmosphère d'Alger d'alors est rapportée avec une certaine hauteur d'esprit et aussi avec scrupule. Feraoun a parlé en tant que témoin privilégié en étant, à son corps, défendant, au centre de l'action. Des esprits retors, ces nationalistes de la vingt-cinquième heure, ont cru bon de monter un procès contre l'homme. Mais l'homme était déjà un géant et surpassait de la tombe toutes ces mesquineries. Aujourd'hui, Feraoun repose dans le petit cimetière qu'il avait si bien décrit «face à l'ouvroir de soeurs-blanches» sur la route d'Ighil Nezman, sa tombe pratiquement ressemblant aux autres ne porte qu'une photographie et souvent des mains anonymes prennent le temps de déposer une gerbe de fleurs pour honorer la mémoire du grand homme ou alors et, c'est souvent le cas d'ailleurs, depuis la route menant à Tizi Hibel et longeant le cimetière, on jette un regard et on prend le temps de s'arrêter pour une pieuse pensée.